Corps gisant au sol, immeubles dévastés, carcasses de voitures : deux énormes explosions dans le port de Beyrouth ont fait mardi au moins 100 morts et 4 000 blessés selon un dernier bilan de la Croix-Rouge libanaise, et provoqué des scènes de dévastation et de panique dans la capitale libanaise, déclarée ville « sinistrée ».
À l’entrée du principal hôpital public de Beyrouth, Brahim a la chemise tachée de sang. Il attend des nouvelles de son amie, elle a été blessée à la tête et à l’œil. Il était dans le centre-ville, tout proche de l’explosion.
« Je suis allé directement aux souks de Beyrouth, pour y retrouver mon amie, car elle était seule. Toutes les vitrines étaient brisées dans ce centre commercial. Elle était blessée, je l’ai portée et l’ai emmenée à un premier hôpital, mais ils ne pouvaient pas la prendre en charge, il y avait trop de blessés. Alors je l’ai amenée ici, à l’hôpital public, car c’est plus grand », explique le jeune homme.
Une ville dévastée
Le son des ambulances a résonné durant des heures dans Beyrouth, choquée et ensanglantée, rapporte notre correspondante à Beyrouth, Laure Stéphan. Dans le quartier de la Quarantaine, attenant au port où s’est produite la double explosion, Wissam est en état de sidération.
Là, on est frappés physiquement dans la chair. C’était vraiment la dernière des choses que les gens pouvaient supporter actuellement. Il fallait voir le regard des gens dans les rues.
Marie-Jo Sader, journaliste franco-libanaise
« Une très grosse explosion s’est produite. Nous étions présents ici. Même pendant la guerre on n’a pas vécu une chose comme ça, a-t-il raconté au micro de RFI. Les appartements sont cassés, comme vous pouvez le voir. Il y a des morts et des blessés. Dans le quartier, il y a beaucoup de personnes âgées. On les a évacuées par les escaliers, car il n’y a pas d’ascenseurs dans les immeubles. Mon seul souci cela a été d’aider pour évacuer les gens, amener les blessés vers les hôpitaux ».
Trois hôpitaux de campagne doivent ouvrir
Trois hôpitaux de campagne doivent ouvrir pour prendre le relais de structures saturées. Les secours se poursuivent pour essayer de retrouver plusieurs dizaines de personnes portées disparues.
Encore enveloppée d’un léger nuage de fumée noire qui se dégage des incendies du port, contre lesquels les pompiers et les hélicoptères de l’armée ont lutté pendant des heures, la capitale libanaise est totalement sinistrée. Le port est dévasté et n’est plus que décombres fumants. Les hangars ont été soufflés, les grues tordues, les bâtiments administratifs rasés, détaille notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh.
Jour I après le désastre. #Beyrouth sinistré n'est plus le même. Le port n'est plus que décombres fumants, certains quartiers sont dévastés… Et les habitants encore sous le choc. #Liban #Lebanon #Beirut pic.twitter.com/V2E56KnqgL
— Paul Khalifé (@Khalifehpaul) August 5, 2020
Les Libanais découvriront aussi des quartiers dévastés dans un rayon d’un kilomètre autour du port, avec des immeubles qui se sont effondrés, des banlieues durement touchées quatre kilomètres plus loin, et des dégâts à plus de 10 kilomètres de la capitale, ou des vitres ont volé en éclats. Le souffle de l’explosion a été ressenti jusque sur l’île de Chypre, à plus de 200 km.
L’institut américain de géophysique basé en Virginie a précisé que ses capteurs avaient enregistré l’explosion comme un séisme de 3,3 sur l’échelle de Richter.
Il n’y a plus rien… Il n’y a vraiment plus rien. Il ne nous manquait plus que ça.
Léna, une habitante de Beyrouth
Le nitrate d’ammonium en cause
On sait déjà que la double explosion a été provoquée par du nitrate d’ammonium entreposé avec des feux d’artifice dans le hangar numéro 12. 2 700 tonnes de cette matière hautement explosive, qui entre dans la fabrication d’engrais, et qui avait été saisie sur un navire russe, en 2016.
Le Conseil supérieur de défense a pris d’autres mesures après la destruction des silos, où était entreposée la réserve stratégique de blé. Le gouvernement a décidé de contrôler toutes les quantités de cette denrée et de limiter sa vente aux boulangeries, pour éviter des pénuries et une flambée du prix du pain. Les mêmes mesures ont été décidées pour les matériaux de construction et le verre. En vertu de l’État d’urgence décrété mardi soir, tous les services de sécurité ont été placés sous le commandement de l’armée, qui a reçu pour mission de préserver la sécurité du pays.
Une étincelle à l’origine de l’explosion ?
Bien que l’heure ne soit pas aux polémiques et aux remontrances, mais à l’organisation des secours et des soins aux blessés, des voix commencent à s’élever pour dénoncer la négligence et l’irresponsabilité qui ont conduit à ce désastre. De nombreux médias s’interrogent : comment et pourquoi des substances hautement explosive ont été entreposées sans précautions au cœur d’une ville de deux millions d’habitants ?
La polémique risque d’enfler car des services de sécurité auraient soumis un rapport, il y a quelques mois, aux autorités concernées, mettant en garde contre le danger de la présence de nitrate d’ammonium au port de Beyrouth et recommandant le transport de cette cargaison dans un endroit sûr. Des médias se révoltent aussi contre le stockage de feux d’artifice non loin du nitrate d’ammonium. Selon le quotidien al-Akhbar, une étincelle partie lors d’une opération de soudage d’une porte du hangar serait à l’origine de la catastrophe.
Le Premier ministre Hassane Diab a déclaré mardi soir que les responsables du désastre devront rendre des comptes. Des propos repris ce mercredi par la ministre de la Défense Zeina Akar.
L’aide humanitaire internationale est en route
Plusieurs pays ont très vite réagi. Le Qatar, dont l’émir est entré en contact téléphonique avec le président Michel Aoun, a envoyé deux hôpitaux de campagne. La France a annoncé l’envoi d’un détachement de la sécurité civile et de « plusieurs tonnes de matériel sanitaire », ainsi que l’arrivée d’urgentistes à Beyrouth « au plus vite ».
Le Canada, le Royaume-Uni les États-Unis se sont également dits prêts à apporter leur aide au peuple libanais. Une aide d’autant plus précieuse que l’État libanais dispose de peu de moyens en raison de la crise économique et financière et sans précédent qui frappe le pays.
Auteur : RFI