Validé le 24 janvier dernier, le nouveau plan d’aménagement et développement territorial (PNADT) veut régler de façon définitive les problèmes d’incohérences territoriales au Sénégal. Mamadou Djigo, le Directeur général de l’Agence nationale de l’aménagement du territoire (ANAT) en donne, avec force détails, les grands contours. Entretien exclusif !
Le Sénégal s’est doté d’un Plan national d’Aménagement et de Développement territorial (PNADT, horizon 2035) depuis bientôt un an. Quelles en sont les prochaines étapes ?
Permettez-moi d’abord avant de répondre à votre question, de vous présenter sommairement le Plan national d’Aménagement et de Développement territorial. Outil de pilotage de la politique nationale d’aménagement du territoire, il est le réceptacle spatial des projets et programmes du Plan Sénégal Emergent. Le président de la République a compris qu’en 2035 nous serons environ 25 millions de Sénégalais. Il y aura 10 millions de Sénégalais de plus. Par conséquent, nos besoins en énergies, logements, eau, nourritures, écoles, centres de formation, voiries, transports, emplois, etc. ne cesseront d’augmenter. C’est ainsi que le chef de l’Etat a décidé d’anticiper notamment via le PNADT par une planification prospective pour ne pas subir les effets néfastes d’un laisser-aller.
Le PNADT a été validé le 24 janvier 2020 en Conseil présidentiel. Depuis lors, l’Agence nationale de l’Aménagement du Territoire est en train de mettre en œuvre une stratégie de vulgarisation de ce document à l’élaboration duquel tous les acteurs territoriaux, la société civile, les collectivités territoriales, les services de l’Etat ont participé. D’ailleurs, 15 septembre 2020, s’est tenu à Dakar un forum national de vulgarisation du PNADT auquel ont participé des directeurs d’aménagement du territoire du Mali, du Togo, de la Guinée Bissau, de la Côte d’Ivoire, du Niger et du Burkina Faso et la représentante résidente de l’UEMOA à Dakar. Cette importance rencontre était présidée par Monsieur Omar GUEYE, ministre des Collectivités territoriales, du Développement et de l’Aménagement des Territoires. Elle était l’occasion pour la représentante résidente de l’UEMOA, de rappeler que lors de la validation du Schéma de l’Espace régional (SDER) les Etats membres de l’organisation sous régionale avaient été invités à élaborer (pour ceux qui n’en disposeraient pas encore) ou actualiser leur schéma national d’aménagement du territoire. S’agissant toujours de la stratégie de vulgarisation, des Comités régionaux de développement (CRD) seront organisés incessamment sous la houlette du ministre Omar GUEYE à qui nous réitérons nos remerciements et notre profonde gratitude pour avoir compris les enjeux du moment. Il est un ambassadeur du PNADT.
Comment le PNADT dans sa mise en œuvre permettra-t-il de corriger les incohérences territoriales ?
Les notions de cohérence/incohérence territoriale questionnent la fonctionnalité des mailles territoriales actuelles vis-à-vis de leur voisinage immédiat d’une part, et d’autre part, vis-à-vis de leurs propres éléments constitutifs (localisation et accessibilité aux établissements humains, aux équipements, aux ressources, etc.). Elles interrogent également les interactions entre les échelles de gouvernance, en mettant notamment l’accent sur la structure des emboîtements et la configuration de la hiérarchie entre les niveaux. Le diagnostic que nous avons réalisé a permis d’identifier et de classer les incohérences territoriales qui caractérisent le territoire sénégalais. Elles concernent : les incohérences liées à la délimitation ; les incohérences liées au découpage territorial ; les incohérences liées à la répartition spatiale des services administratifs et des équipements et les incohérences liées aux évolutions spatiales. Elles sont réparties sous plusieurs types : les imprécisions des limites, les erreurs de délimitation, l’émiettement territorial, les polarisations lâches, le manque de cohésion territoriale et sociale, les localisations aberrantes de services administratifs, la répartition non optimale et non équitable des équipements, le statut administratif inapproprié pour l’action territoriale, l’étalement urbain des grandes communes sur les terres des ex-communautés rurales voisines, la dispersion de l’habitat rural, le manque de lisibilité de la toponymie, l’absence de cadastre rural… Nombre de ces problèmes trouvent leurs origines dans les arbitrages politiciens que nous appelons le « Gerrymandering ». Le chef de l’Etat a compris qu’il nous faut absolument des territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable. Cela est essentiel pour la prospérité de l’économie du pays et des Collectivités territoriales. Il a rappelé aux élus, à plusieurs reprises, l’impérieuse nécessité de trouver des solutions définitives aux incohérences territoriales. Rien ne sera plus comme avant, a-t-il déclaré urbi et orbi. Il a décidé de régler de façon définitive ces problèmes d’incohérences territoriales avec une démarche scientifique tout en tenant compte des réalités socio-économiques de notre pays.
Comment les métropoles à l’intérieur du pays participent-elles à l’équilibre du territoire national ?
Le Président de la République a décidé de mettre en place dix métropoles d’équilibre pour faire le contrepoids de l’hypercentralisation de Dakar. Toute une panoplie d’infrastructures, d’équipements et de services sont prévus grille dans ces territoires métropolitains. Le programme des 100 000 logements, les zones industrielles, les 45 centres de formation et les hôpitaux projetés, les aéroports, les ports, les ports secs rendront attractifs ces territoires qui vont fixer les populations, car elles y trouveront les services, les équipements qu’elles chercheraient à Dakar.
Pouvez-vous nous lister les projets de développement territorial pourvoyeurs de milliers d’emplois ?
Je pourrai passer une journée à les lister. C’est pour vous dire que des projets de développement territorial, il en existe. Et ce n’est pas difficile de les réaliser. Cela ne demande pas une grande ingénierie : il nous faut juste de petites unités industrielles pour fabriquer nous-mêmes nos cure-dents, nos cuillères, nos cadenas, nos aiguilles… Je viens de mettre le curseur sur des régions comme Tambacounda et Kédougou où il est possible de créer des industries tournées vers les métiers des métaux. Une région comme la Casamance (Ziguinchor, Kolda et Sédhiou) pourrait se spécialiser dans la transformation des fruits ; le Sénégal pourra même y installer une menuiserie nationale. Ainsi, les besoins en mobiliers de l’administration seront satisfaits puisque cette zone est réputée être une zone de grande production de bois. Sans compter les produits de la foresterie. Avec le projet de la Zone industrielle artisanale de Touba (ZIAR, spécialisée en cuirs), sera créé au Sénégal un territoire de cuir articulé autour Dahra-Linguère-Ngay Mecké-Touba. Notre pays sera un hub de cuir à l’image de l’Ethiopie.
En quoi la loi d’orientation pour l’aménagement durable des territoires (LOADT) déjà adoptée en Conseil des ministres et soumise pour examen à l’Assemblée nationale, est-elle un puissant outil de mise en œuvre de la politique nationale d’aménagement du territoire ?
Sans cette loi, le PNADT comme son devancier le PNAT – pourtant validé depuis 1997 – souffrira d’un défaut de mise en œuvre. Les instruments et mécanismes de mise en œuvre qui ont été préconisés dans le cadre de ce précédent plan, tels que la Loi d’Orientation pour l’Aménagement du Territoire (LOAT) et le Fonds d’impulsion à l’Aménagement du Territoire (FIAT), n’ont pas été mis en place. Pour éviter cela, le nouveau plan a mis un accent particulier sur la nécessité pour le Sénégal de se doter d’une loi d’orientation pour l’aménagement durable des territoires (LOADT) adopté en Conseil des ministres depuis le 05 août 2020. Cet instrument juridique soumis à l’examen de l’Assemblée nationale, s’il est voté sera opposable aux tiers.
L’origine des inondations à Dakar s’explique d’abord par l’occupation des bas-fonds consécutive au fort accroissement urbain de Dakar…
Est-elle le seul instrument important dans la mise en œuvre du PNADT ?
Absolument pas. J’ai cité tantôt le Fonds d’impulsion à l’aménagement du territoire qui est également un instrument efficace de financement du développement territorial. Il y a aussi le visa de localisation visant à aider à une bonne répartition des infrastructures et des équipements et l’Observatoire national du territoire (ONT) pour ne citer que ces instruments
Comment expliquez-vous la récurrence des inondations ?
Ce qu’il convient de souligner, ce n’est non pas comme vous dites une récurrence des inondations mais simplement des pluies exceptionnelles. L’ANAT dans le cadre du Plan décennal de lutte contre les inondations (PNDLI) a réalisé des projets importants ayant eu des incidences sur la prévention et la gestion des inondations : la modélisation spatiale de la cartographie du Sénégal, l’étude du schéma d’aménagement de la zone Dakar-Thiès-Mbour et le PNADT.
Dès ma nomination en 2012 à la tête de l’agence, j’ai entrepris le chantier de la numérisation de toute la cartographie du Sénégal héritée de la France coloniale en partant de la période d’avant indépendance jusqu’à nos jours pour en faire une modélisation spatiale.
Cette modélisation a permis d’avoir la cartographie du Sénégal d’avant, pendant et après indépendance. Elle a été utilisée lors de la mise en place du PNDLI et a permis d’identifier les quartiers inondables.
L’origine des inondations à Dakar s’explique d’abord par l’occupation des bas-fonds consécutive au fort accroissement urbain de Dakar qui polarise une très grande partie des activités commerciales, industrielles et de services du pays.
Une comparaison de la cartographie 2011 de Dakar par rapport à celle de 2019 révèle une occupation accentuée des zones inondables et des voies d’eau. Les quartiers Keur Massar et Yeumbeul en sont des illustrations.
Sur quels outils de l’aménagement du territoire l’Etat du Sénégal pourrait-il s’appuyer pour régler définitivement le problème des inondations et l’occupation anarchique des zones à risque ?
Mes équipes ont développé d’autres outils ou applications ayant permis d’avoir, entre autres, le profil altimétrique des zones permettant d’identifier les bas et hauts fonds d’une localité, et qui participe à la prévention des inondations. Ces outils, fruits du travail de l’Observatoire national du Territoire, cadre de collecte, de traitement et de diffusion de l’information territoriale, constituent une précieuse aide à la décision.
Pourquoi les problèmes d’assainissement sont-ils récurrents au Sénégal ? L’urbanisme et l’aménagement du territoire jouent-ils comme cela se doit leur rôle ?
J’ai l’habitude de le dire que l’urbanisme en tant qu’entité intervenant dans la ville est la fille de l’Aménagement du territoire qui a des compétences plus globalisantes. L’ANAT est chargée de mener la politique du gouvernement en matière d’aménagement du territoire et de travaux géographiques et de cartographie. A ce titre, nous élaborons des documents de planification spatiale et économique de tout le pays.
On a longtemps épilogué sur les disparités régionales et inter-régionales, le déséquilibre entre Dakar et le reste du pays. C’est quoi la solution pour inverser la tendance ? Quand et comment pourrions-nous parler de la fin de l’exode urbain ?
Au moins deux choses sans être exhaustif : fixer les populations en mettant en place les infrastructures de développement notamment routes, usines, écoles, universités, etc. et créer des emplois par une valorisation optimale des ressources de nos territoires. Avec le PNADT, l’exode rural et l’émigration clandestine connaitront un recul considérable. J’en suis convaincu.
Quel est le pourcentage de communes sur les 557 existantes à disposer d’un schéma d’aménagement communal ?
Les communes du Sénégal n’en ont pas du tout ! Avec le vote de la loi pour l’aménagement du territoire, les communes en seront dotées. Le Schéma communal d’Aménagement et de Développement territorial (SCADT) est important voire nécessaire dans le dispositif de planification spatiale. Conformément aux options du Schéma départemental d’Aménagement et de Développement territorial, le SCADT fixe les options d’aménagement et de développement à l’échelle de la commune. A ce titre, il contribue à la mise en cohérence des projets de l’Etat, des collectivités territoriales et du secteur privé à l’échelle de la commune. Nous sommes sur la bonne voie dans ce domaine avec les orientations du PNADT. Nous travaillons actuellement dans ce sens avec le PNUD qui compte accompagner l’élaboration de schémas communaux dans cinq communes.
M. BA et Cheikh Moussa SARR