La Constitution révisée du 22 janvier 2001 affirme dans le Préambule l’attachement à la transparence dans la conduite et la gestion des affaires publiques (énergie) ainsi qu’au principe de bonne gouvernance. Le dispositif de la loi fondamentale en son article 25-1 précise que « les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie.
L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer une croissance économique, à promouvoir le bien-être de la population en général et à être écologiquement durables ». Par ailleurs, l’article 21 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, instrument conventionnel cité dans le préambule de la Constitution et ratifié par le Sénégal, réaffirme le principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles en stipulant que « les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Ce droit s’exerce dans l’intérêt exclusif des populations. En aucun cas, un peuple ne peut en être privé ». Dans la mesure où le pétrole et le gaz sont des ressources naturelles et que l’électricité est une richesse nationale, toute disposition législative ou réglementaire qui concerne leur gestion doit prendre en compte les principes constitutionnels et internationaux qui doivent guider leur exploitation.
Des persistantes accusations de mal gouvernance du régime de Macky Sall dans la gestion du secteur de l’énergie ont été relayées par un reportage de la BBC (Sénégal : Un scandale à 10 milliards de dollars – BBC Africa Eye, juin 2019) et les investigations menées par les acteurs de la société civile et de l’opposition (Ousmane Sonko, Pétrole et gaz au Sénégal, chronique d’une spoliation,2017 ; Thierno Alassane Sall, Le Protocole de l’Elysée, Confidences d’un ancien ministre sénégalais du pétrole. 2020 ; Birahim Seck, Senelec : une société électrocutée, 2020).
Ces alertes doivent inciter à la mesure, à la prudence et à la vigilance, notamment lorsqu’il s’agit de l’attribution des contrats et marchés publics, et ce malgré l’adhésion du Sénégal aux normes volontaires de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE). Toutefois, le Président de la République en signant le décret n° 2022-1538 du 12 août 2022 modifiant et complétant le décret n° 2014-1212 du 22 septembre 2014 portant Code des marchés publics (CMP) se met à nouveau en porte-à-faux par rapport à tous ces principes supra-décrétaux.
L’évasion juridique du Décret n° 2022-1538 du 12 août 2022
Le Décret n° 2022-1538 du 12 août 2022 démantèle un échafaudage patiemment construit par les acteurs de la commande publique. Ce décret modifie et complète l’article 3, point 4, c) du CMP. Il soustrait du champ d’application du CMP l’essentiel des activités des sociétés publiques et organismes publics du secteur de l’énergie tels que Petrosen, la Société Africaine du Raffinage (SAR), Réseau gazier du Sénégal (RGS), Senelec et l’Institut National du Pétrole et du Gaz (INPG).
En vertu des dispositions du décret précité, les autorités contractantes, sociétés publiques et organismes publics en charge de l’application de la politique pétrolière, de l’exploration, de l’exploitation des ressources pétrolières et gazières (Petrosen), du raffinage et de la commercialisation des produits pétroliers et gaziers (SAR et Petrosen), de la construction, de l’exploitation et de l’entretien d’infrastructures de transport et de distribution du gaz naturel (Petrosen et RGS), de la production, du transport et de la distribution d’énergie électrique (Senelec), selon leurs activités, peuvent sans appliquer les procédures prévues par le CMP : acquérir du pétrole brut, des produits pétroliers et gaziers et produits chimiques pour les besoins d’approvisionnement du pays et/ou de commercialisation ; acquérir des services pointus, des consommables pour le fonctionnement et l’exploitation de leurs activités ; acquérir des équipements pour les travaux de construction d’infrastructures de transport et de distribution de gaz naturel à travers le pays ; acquérir des équipements pour les travaux de production, de transport et de distribution d’énergie électrique ; acquérir les équipements et les consommables pour le fonctionnement et l’exploitation de leurs installations ; acquérir les équipements relatifs à la formation dans le secteur pétrolier et gazier ; acquérir les équipements de laboratoire dans le secteur pétrolier et gazier ; acquérir les certifications recommandées et/ou exigées dans l’industrie pétrolière et gazière.
En un mot, toutes les activités de la chaine de valeur de l’industrie du pétrole et du gaz de l’amont à l’aval en passant par l’intermédiaire, y compris le service public de l’électricité et la formation, assurées par des entités publiques avec des ressources publiques, sont « exfiltrées » du régime de droit commun de la commande publique fixé par le CMP.