Au moins quatre manifestants ont été tués, selon des médecins pro-démocratie jeudi à Khartoum, où des dizaines de milliers de Soudanais scandaient « le peuple veut la chute du général Abdel Fattah al-Burhane », l’auteur du coup d’État qui a plongé depuis octobre le pays dans la violence et une grave crise économique.
Dès mercredi soir, alors que de petits cortèges marchaient ici et là pour appeler les Soudanais à débrayer et à se mobiliser jeudi, un jeune manifestant était tué d’une « balle dans la poitrine » à Khartoum, selon des médecins. Jeudi, quatre autres protestataires étaient abattus, deux au moins « par des balles tirées dans la poitrine » par les forces de sécurité, a rapporté un syndicat de médecins pro-démocratie, dénonçant aussi leurs assauts sur plusieurs hôpitaux de la capitale. Depuis octobre, la répression a fait 107 morts et des milliers de blessés, sans toutefois entamer la détermination de la rue. « Même si on doit tous mourir, les militaires ne nous gouverneront pas », scandait d’ailleurs jeudi la foule.
Les manifestants entendent obliger l’armée à rendre le pouvoir aux civils après le putsch qui a plongé l’un des pays les plus pauvres au monde dans le marasme économique et politique. Le 30 juin est une journée symbolique pour ce grand pays d’Afrique de l’Est car il marque deux dates importantes : l’anniversaire du putsch qui a porté le dictateur Omar el-Béchir au pouvoir en 1989, un coup de force alors mené main dans la main par généraux et islamistes, et des rassemblements monstres en 2019 qui ont poussé les généraux à intégrer les civils au pouvoir après avoir écarté Béchir.
Les manifestants veulent réitérer l’exploit d’il y a trois ans, et forcer le pouvoir militaire à rendre les rênes du pays aux civils. Comme à chaque appel à manifester, le réseau internet et le téléphone étaient difficiles d’accès et les forces de sécurité étaient déployées sur divers ponts et artères de Khartoum et sa banlieue. La communauté internationale avait pourtant tenté de prévenir toute nouvelle violence : l’émissaire de l’ONU Volker Perthes avait martelé que « la violence doit cesser », et plusieurs ambassades avaient réclamé que « plus aucune vie ne soit perdue ». Mais les capitales étrangères peinent à faire pression sur des généraux au pouvoir au Soudan quasiment sans interruption depuis l’indépendance en 1956.
Le 25 octobre 2021, quand le chef de l’armée, le général Burhane, a brutalement mis fin au fragile partage du pouvoir en faisant arrêter ses partenaires civils, la communauté internationale a coupé son aide – 40% du budget du Soudan. Ces sanctions financières n’ont pas fait plier le général Burhane mais elles ont fait plonger l’économie : la livre soudanaise s’est effondrée et l’inflation dépasse tous les mois les 200%.
Pire encore, le spectre de la famine se profile : un tiers des 45 millions de Soudanais souffrent d’« insécurité alimentaire aiguë », potentiellement mortelle, et d’ici septembre, ce chiffre devrait atteindre selon l’ONU 50%. Début juin déjà, l’ONG Save the Children annonçait le décès lié à la faim de deux enfants.
En outre, la spirale des violences dans un pays en guerre depuis des décennies, a repris son cycle infernal : au Darfour, des centaines de personnes sont mortes dans des affrontements pour la terre et l’eau et les manifestations contre les militaires se soldent chaque semaine par des morts ou des blessés. En outre, des centaines de militants ont été arrêtés et des dizaines d’entre eux sont toujours derrière les barreaux.
En manifestant, le bloc civil des Forces pour la liberté et le changement (FLC), colonne vertébrale du gouvernement limogé lors du putsch, veut « faire chuter les putschistes et empêcher toute alternative factice ».
Car pour les FLC, le « dialogue national » proposé par l’armée et l’ONU, est une « fausse solution politique » qui « légitime » le putsch. Elles posent donc comme condition préalable à toute discussion le retour au partage du pouvoir entre civils et militaires – qui, outre la politique, dominent largement l’économie du pays, riche en or et en ressources naturelles.