Parmi les notables de Ndar qui pressentirent la sainteté de Alaaji Maalik Si rta, on ne peut pas oublier Sëriñ Moor Masàmba Jéeri Jeŋ.
Né à Bame Njeŋéen vers 1827, il était le descendant du fondateur de ce village, reconnu pour être un vif foyer religieux au sein du Kajoor. Je me permets donc de revenir brièvement sur sa généalogie, amorçant depuis le très célèbre Abdalaa Buuri Faal Jeŋ, fondateur des villages de Ndogal et Guyaar, et descendant des Dammeel-Teeñ et de Jawriñ Ñiŋéen, incarnant l’alliance matrimoniale des puissants clans « Faal » et « Jeŋ ».
Sa mère, Buuri Faal, était la fille du Teeñ du Bawool, Mamaalik Cooro, lui-même fruit de l’union-alliance entre les deux puissantes familles nobles Jeŋ et Faal. Cooro Ñiŋéen, mère du Teeñ Mamaalik, était la fille de Saa Goño Kuli Ñilaan Jeŋ et de Ngóone Sobel, la célèbre princesse de lignée « Wagadu »,également mère du Dammeel Amar i Ngóone Sobel Njaay Faal, père du Dammeel Màsamba Tàkko, qui lui-même est le père de Mamaalik Cooro, et fils également d’une Jeŋ, la princesse « Muyóoy » Tàkko, fille de Yugo Faali Kuli Jeŋ. Ce dernier, qui est le frère de Saa Goño Kuli Ñilaan, est fils du fameux Singaar i Ngaan, considéré par beaucoup d’historiens traditionalistes comme le patriarche des Jeŋ au Kajoor et au Bawool.
Le père de Abdalaa Buuri Faal, Maaju Paaje, était le fils de Paaje Singaar, qui était lui-même le fils de Singaar i Ngaan. Abdalaa Buuri Faal eut d’une épouse Peule nommée Ayda Ja, Bame Ayda qui fut le fondateur de Bame Njeŋéen. Bame est le père de Masàmba Bame, père de Bame Jeŋ, père de Njaaga Bame, qui épousa Aram Gay, elle aussi descendante de Abdalaa Buri Faal, étant la fille de Xayta Sekk, fille de Yumaan, fille de Atmaan, fils de Abdalaa Buri Faal. Les enfants nés de cette union furent Tuley Aram Gay et Bame Aram Gay, père de Moor Masàmba Jéeri, qui envoya son fils étudier auprès du grand érudit Masàmba Anta Cebbo, fils du très célèbre Mëdun Penda Buuya, lui-même fils du non moins célèbre Sëriñ Kokki Maxtaar Ndumbe.
Notant tous ces liens de parenté entre familles religieuses, ou comme on les appelle, doomi-soxna, on ne peut pas oublier celle avec les Sëriñ Piir, descendants de Xaali Amar Faal, qui était le fils de Paate, fils de Kuli, fils de Mandesit, frère du déjà cité Amar i Ngóone Sobel Njaay Faal. À noter encore, excusez encore la digression, que Masàmba Anta Cebbo est aussi l’arrière-grand-père et l’homonyme de Sëriñ Masàmba Mbàkke, frère cadet de Sëriñ Tuubaa, et père de l’éminent érudit Moor Xujja Kumba, auteur de l’œuvre « Hadiyyat al-mujīt » plus connue sous le nom de « al-Muqaddima al-Kūkkiya », livre de grammaire en 469 vers, qui fut pendant longtemps la référence des étudiants arabophones en Sénégambie, et qui fut aussi l’un des maîtres de Seydi Alaaji Maalik Si (Mbaye 2003: 57), et de son père Maam Usmaan Si (Sall 2009: 65).
Sëriñ Moor Masàmba Jéeri s’installa à Saint-Louis, précisément dans la rue St-Paul, devenue Pierre Loti, et qui porte aujourd’hui son nom, y fonda l’une des écoles coraniques les plus prestigieuses de la ville et se dédia au commerce, activité dans la quelle il fit fortune, devenant une des personnalités les plus importantes de la ville. Sa économique lui permit d’être un véritable mécène, en offrant l’hospitalité à de nombreux étudiants et érudits musulmans qui séjournaient dans la ville. C’est dans ce contexte que Sëriñ Moor Masàmba Jéeri fit la connaissance du jeune Alaaji Maalik Si, fils de son co-écolier à Kokki, le déjà cité Usman Si. Il fut peut-être présenté par son ami, l’imam de la grande mosquée Sëriñ Ahmadu Njaay Maa Béey, qui avait été maître de grammaire et de littérature de Mawdo, et qui était le gendre de Sëriñ Moor Masàmba, ayant épousé sa fille Anta Jeŋ.
Pressentant sa sainteté, Moor Masàmba l’accueillit à son domicile, qui devint un lieu de visite pour plusieurs habitants de l’île et des environs subjugués par le savoir et l’aura mystique de l’érudit natif de Gaya.
Sëriñ Moor Masàmba donna à Alaaji Maalik Si la main de sa fille, Soxna Yaasin Jeŋ, qui eut plusieurs enfants : Ayda Yaasin, Umu Xaayri Yaasin, Usmaan, Ahmadu Laamin, Seex Tijaan et Safiyetu. Ayda Si épousa Sëriñ Fass Haadi Ture, tandis que Umu Xaary Si épousa Ahmadu Asan Ndóoy de Dakar.
Sëriñ Moor Masàmba donna aussi une de ses filles, Maymuna, au très pieux Sëriñ Mbàkke Buso, cousin de Seex Ahmadu Bàmba Mbàkke.
Rappelé à Dieu en 1900, Sëriñ Moor Masàmba Jéeri Jeŋ, laissa un héritage spirituel immense et une œuvre considérable, qui le placent parmi les figures plus importantes de l’Islam de Ndar et du Sénégal.
Note sur les aspects généalogiques :
Il est intéressant de constater que la version généalogique transmise par l’histoire orale semble être confirmée par les manuscrits en langue arabe du Kitab el Ançab (livre des généalogies) d’Al-Daymānī (Hamet 1911), dans lesquels il est dit que « Abdallah Dieng ben Muhammad ben Midjiou ben Beddja ben Chenkath ». Malgré les dissonances phonétiques, on peut reconnaître des similitudes : Midjiou/Maaju, Paaje/Beddja, Singaar (qui est souvent prononcé aussi Sengaar)/Chenkat. Dans ce cas, il y aurait une génération entre Abdalaa et Maaju, peut-être oubliée par la tradition orale. L’un des fils d’Abdalaa et d’une femme nommée « Haoua Tyam » (Awa Caam) aurait épousé une femme des Oualad Deyman et y aurait fondé une famille. Gaden (1913) rapporte à ce propos : «Ses descendants sont restés chez les Oulâd-Deïman et ne parlent plus le wolof. Il n’y a plus de Dyeng de cette famille à Dakar, cette branche s’étant éteinte, mais chaque fois que Mohammed Lahmed Youra se rend à Dakar, il ne manque pas d’aller revoir l’endroit où les Dyeng avaient leurs cases et qui fut l’origine de Dakar. Cet endroit se trouve tout près du plateau où est bâti le Gouvernement général, sur la route de Ouakam.» Ce fait illustre les anciens liens de parenté entre les familles d’érudits religieux de Mauritanie et du Sénégal.
Il convient de noter que dans les manuscrits de l’éminent historien traditionaliste Yoro Jaw, on trouve quelques discordances superficielles avec les versions précédemment rapportées. Dans Rousseau (1933), le père de Saa Goño et Yugo Faali serait Tanor Faatim Njoogu, ce qui semble absurde car il devrait être le fils de Faatim Njoogu, sœur de Tabara Njoogu. Cette dernière est la mère de Tàkko Jeŋ et l’épouse de Yugo Faali. Donc, Yugo Faali serait le mari de sa grande-tante, ce qui semble un peu absurde. «Kuli» semble être un prénom masculin, donc il se peut qu’il indique le père de Saa Goño et Yugo Faali, ignoré par la tradition orale rapportée par Asan Maroqaya comme par Yoro Jaw.
Dans Rousseau (1941), il est rapporté que Paaje et Abdalaa Buri Faal étaient frères et fils de Singaar i Ngaan (orthographié « Singhare Yanghne »), et que Paaje aurait fondé Guyaar, tandis qu’Abdalaa aurait fondé Ndogal et Ngañax. Je pense que compte tenu de la différence substantielle des prénoms, qui semblent appartenir à un contexte différent, et de la discordance avec d’autres sources orales et écrites, Abdalaa appartenait à une autre génération que Paaje, et il serait plutôt le descendant de Singaar i Ngaan que son fils. Il est possible, par contre, suivant en partie la suggestion de Yoro Jaw, que le village de Guyaar au Jambur ait été fondé avant les villages de Ndogal et Ngañax au Bawool.
Pour les lignées généalogiques au-delà des sources écrites cités je fais référence aux chants de Ablaay Naar Sàmb et Sàmba Jabare Sàmb, et aux narrations de Demba Laamin Juuf et Asan Maroqaya lors de l’émission Sénégal Demb dédié à Moor Masàmba Jéeri Jeŋ, animée par Mansur Sekk.
Bibliographie :
Aidara A. H. 2004 Saint-Louis du Sénégal d’hier à d’aujourd’hui, Grandavaux: Brinon-sur-Sauldre (France).
Boulègue J. 2013 Les royaumes wolof dans l’espace sénégambien: XIIIe-XVIIIe siècle. Karthala: Paris.
Hamet I. 1911 Chroniques de la Mauritanies Sénégalaise, Nacer Eddine. Texte arabe Traduction et Notice. Éditeur Ernest Leroux: Paris.
Mbaye R. 2003, Le grand savant Elhadji Malick Sy ; pensée et action, Albouraq, Paris.
Rousseau R. 1933 «Le Sénégal d’autrefois. Étude sur le Cayor, Cahiers de Yoro Dyâo» B.C.E.H.S. de l’A.O.F., 2, pp. 237-298.
Rousseau R. 1941 «Le Sénégal d’autrefois. Seconde étude sur le Cayor» Bull. IFAN, pp. 79-144.
Gaden, H. 1913. Note à la page 317 de Soh S. A. Chroniques du Foûta sénégalais [Texte imprimé] / traduites de deux manuscrits arabes inédits de Siré-Abbâs-Soh et accompagnées de notes, documents annexes et commentaires, d’un glossaire et de cartes par Maurice Delafosse; avec la collaboration de Henri Gaden, Leroux: Paris.
Sall P. 2009 Ëtu Maodo, où, La cour religieuse du Cheikh, Jangaal presse: Daka