« Il n’y a pas de révolution sans conscience. » Jean Jaurès.
Élève, le mot système revêtait dans nos oreilles puériles d’âme candide une connotation tout à fait académique, se couvrait d’une définition droitement sortie du Larousse dont tout le monde se contentait, allègrement !
Le système était alors appréhendé comme un ensemble de pratiques organisées en vue de l’atteinte d’un but.
Des années plus tard, d’expérience, ce même mot allait se retrouver investi d’une sémantique beaucoup plus lourde, beaucoup plus clinique, sécrétée cette fois-ci par le tribunal populaire. Le système me dira justement l’oncle doudou à l’issue de nos sempiternelles élucubrations, « c’est la plus obscure des damnations que les hommes n’ont jamais inventées ».
Le système reprendra-t-il avec insistance, « c’est ce chauffard qui à force d’enfreindre le code de la route, finit par ne plus respecter aucune règle et s’érige en habitué des coups fourrés ».
De ce tableau apocalyptique, à mille lieues du pittoresque, il apparaît nettement que le système renvoie sous le toit de nos cases, ni plus ni moins, qu’à cet axe irrécusable du mal qui, tel le triangle des Bermudes, est propre à perdre tout corps qui s’aventure à naviguer dans ses surfaces, ou même à l’approcher.
Ce qui le rend d’ailleurs si détestable.
Pourtant, il n’y a pas le système seul capable à annihiler le bon vouloir d’un peuple à atteindre les rives de la bonne gouvernance, de la démocratie, de la justice sociale et de l’équité.
Le changement s’il dérape peut-être porteur de gènes bien plus dangereux et bien plus sombres que le système lui-même.
L’apparat ténébreux que revêt l’entreprise de liquidation du système au Sénégal ne risque-t-il pas de déboucher sur un système bien plus sournois que celui que nous vivons actuellement ? De façonner un horizon piégé qui au lieu de cristalliser les espoirs les crispera ?
« Le roi est mort, vive le roi » fut l’expression répandue au moyen âge, à la mort de Louis XIV.
Ce vivat légendaire portera sur le trône Louis XV le bien-aimé, symbole manifeste d’un nouvel élan dans la vie de la monarchie.
Pourtant, très bientôt, l’homme connaîtra un règne si tumultueux qu’il acquerra le surnom de mal-aimé qui ne le quittera jamais.
Ce petit détour s’il nous est nécessaire, c’est qu’il démontre au moins la vivacité d’un précepte bon à mémoriser : les entreprises sur lesquelles on fonde le plus peuvent, si l’on y prête garde, se révéler inféodées à des non-valeurs qui surprennent en plein sommeil en prenant l’apparence soudaine d’un loup ou d’un baudet sans crinière qui rue et cabre à la fois, et aussi prompt à mener tout coursier qui le chevauche vers le plus profond et le plus obscur des abysses.
D’où l’impérieuse nécessité de penser le système de dérapages qui commence à germer petit à petit au Sénégal, et qui pose un problème véritable de santé publique, pire qu’une grippe saisonnière.
Comme on a pu le constater, la démolition du système, dans ses lettres de noblesse, est sans doute entrain de dévier dans des chemins sinueux qui rebâtissent un nouveau système.
Il ne s’agit ni plus ni moins que de ce système de la pensée inique qui petit à petit fait son chemin, de la censure de l’intellect, de l’avanie ainsi que de la promotion outrageuse de l’assistanat.
Mais un système fortement coextensif à la survenue brusque dans la sphère politico-médiatique de nouveaux héros, des « héros obscurs » qui aux antipodes des considérations de Hugo dans les misérables, assombrissent viscéralement la trajectoire de la refonte du système.
Quand toute figurine, tout capitaine courage peut, au nom de la guérilla contre le système, atteindre d’une pierre la cour du roi et en sortir auréoler de gloire au vitriol, nous avons ce qui présentement installe le projet dans un étau étourdissant, un étau bruissant de mille maux.
Des maux plutôt liés à la multiplication de ces mains boueuses qui s’éprennent à cette lutte, qu’à la détérioration des principes directeurs eux-mêmes.
Même si les principes prônés depuis le début se sont érodés par le temps puisque supplanté à la très réductrice bataille d’opinion faisant suite à l’affaire Sweet Beauty, il reste que la prolifération des héros obscurs est à l’heure actuelle en train de bâtir un système de valeurs qui surfe sur les mêmes vagues que celles d’antan.
En vérité, l’affaire du courant de mars 2021 aura sans doute fait chavirer les valeurs plénières sur lesquelles les pourfendeurs du système avaient voulu se baser pour redorer le blason de l’Etat, de la république.
Le 16 septembre 2018, le candidat Ousmane Sonko debout face aux sénégalais, devant les journalistes et sommités intellectuelles, livre en main, initiait l’ère d’une nouvelle stratégie politique qui allait vite révolutionner le discours et structurer le débat autour d’idée.
De quoi précipiter l’avènement des partis boîtes à idées dans le lanterneau politique, rendant la production écrite assez fertile.
Pourtant, très vite, la dynamique allait dévier à la charge de la guerre nauséabonde et intempestive sous fond de « Sonko Adji Sarr », conduite sur la place publique des figures douteuses, soudainement portées en triomphe par une jeunesse en porte-à-faux avec le système de la représentativité et succinctement obnubilée par la volonté de rebâtir de nouvelles figures.
Ayant vécu de pleins fouets les échecs répétés du régime quant à la résolution des multiples problèmes qui attellent son quotidien, cette dernière, comme plusieurs franges du peuple, vivra son mal en tournant le dos à l’élite, partant à la recherche forcenée de nouveaux héros dans une sorte de traversée du désert.
Et comme disait Victor Hugo, le malheur, la pauvreté, l’abandon, l’isolement sont des champs de bataille qui ont leur propre héros.
D’héros, ce contexte désobligeant en façonnera à foison.
A telle enseigne qu’artiste, prêcheur, marabout, comédien, influenceur, animateur et même journaliste se précipiteront et en viendront à faire immixtion sporadique dans le champ politique, devenant les nouveaux acteurs privilégiés du débat, les voix d’un projet de grand remplacement médiatique.
La critique facile, l’analyse superficielle, ils s’érigeront en héros du peuple, mais installeront une culture du débat chaotique, partisan, courtisan qui souvent tord le cou à la courbe des valeurs.
En bisbille avec l’intelligentsia, leur modus operandi sera de primes abords, de tourner en dérision la classe « intellectuelle », aussitôt qualifiée d’extravertie bon à excommunier.
Foulant aux pieds tout discours sérieux, ils auront fini par porter au pinacle la culture de l’immaturité devenue le refuge d’une jeunesse qui se proclame décomplexée et décidée à
Déboulonner le système en omettant qu’en se mettant à dos l’idée, ils deviennent acteurs d’un système encore plus réducteur que celui qu’ils combattent et d’un projet de renouveau mort-né.
Déviant les préceptes de solidarité, ils finiront par installer l’assistanat qui dessert les vertus du travail par l’entremise des cagnottes devenues le lieu d’expression d’un point de résilience sociale domestique de bout en bout.
Hébergé par des hommes de médias qui en font sitôt leur starlette on ne sait à quel prix, cette nouvelle horde qui promeut l’unilatéralisme, verse très souvent dans le radicalisme et refoule ouvertement la nuance aura fini par prendre en otage la parole publique pour au final s’offrir en icône de la mise en sac du système en lieu et place des figures pionnières.
Or, comme il ressort de la pensée de Crozier dans l’acteur et le système « La substance même du changement doit être abordée avec prudence, la fin visée étant de mettre en œuvre une capacité à tolérer une diversité et une ouverture accrues et à gérer les tensions inévitables, ce qui doit permettre aux hommes de conquérir des capacités plus étendues. »
Pourtant au rythme où vont les choses, le loup est bien dans la bergerie du changement et envisage de s’y installer durablement sans qu’on ne cherche à l’y débusquer.
C’est pourquoi, on ne doit pas tout asservir pour le but que l’on poursuit, devra-t-on vite convenir avec Camus.
A vouloir liquider le système à tout prix, on aura entretenu le flirt platonique avec la naissance d’héros obscurs qui malheureusement brillent que pour avoir eu le courage de balancer une pierre à la ramasse dans la cour du roi et de s’efforcer par tous les moyens possibles de protéger le prince.
Un prince voué à vivre le compagnonnage avec cette garde prétorienne qui apeure, assomme, fait fuir mais plus profondément dénature, obscurcie et débouche sur un rétropédalage.
Et qu’on doit donc impérativement organiser un « Ndeup »de ce front antisystème au risque que le navire aborde les eaux un jour avec ces démons bien installés à l’intérieur.
Et avec lesquels, tout commandant de bord se perdra en haute mer.
Le scribe