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« VILLES PRIVEES » OU « VILLES JUSTES »: Comment réaliser la valeur transformative potentielle de l’urbanisation en Afrique?

L’urbanisation a le potentiel de transformer les sociétés. C’est une dynamique que l’on ne peut pas freiner, en particulier en Afrique. Pour que cette transformation à plusieurs niveaux améliore les conditions de vie de millions d’Africains, il faut non seulement rendre les villes inclusives, sûres, résilientes et durables (ODD 11), mais aussi les rendre justes. « La ville juste en Afrique ; La valeur transformative de l’urbanisation ».  Friedrich-Ebert-Stiftung Kenya et The New School (TNS)

Les villes privées sont construites et exploitées par d’importants acteurs non gouvernementaux qui non seulement construisent des maisons, des usines, des bureaux et des routes, mais fournissent également des services publics. Ces acteurs non conventionnels peuvent fournir des biens publics sans percevoir d’impôts car la valeur des terrains et des bâtiments qu’ils possèdent augmente lorsque les villes fonctionnent efficacement et que  la qualité de la vie urbaine s’améliore. Les acteurs privés, souvent puissants et bien connectés, peuvent réussir à attirer des entreprises dynamiques dans leurs villes. « PRIVATE CITIES ».

SAUVER L’ODD 11 POUR UNE PLANETE URBAINE RESILIENTE ; FORUM POLITIQUE DE HAUT NIVEAU DES NATIONS UNIES SUR LE DEVELOPPEMENT DURABLE 2023

Selon M. Jean Pierre ELONG MBASSI, Secrétaire Général, CGLU Afrique dans la voix du manager local africain n°8, Juin 2023, « Aujourd’hui, 56% de la population mondiale, soit 4,4 milliards d’habitants, vivent en ville, une proportion susceptible d’atteindre 75% d’ici 2050.

L’Afrique a passé le seuil des 43,5 % d’urbains et près d’un Africain sur deux vit aujourd’hui dans une zone urbaine. Dans pratiquement tous les pays d’Afrique, près de 60% du PIB est le fait des villes. En d’autres termes, le devenir économique et social du continent africain dépend de plus en plus de la façon dont ses villes et territoires sont planifiés et gérés ». Or, le progrès vers un développement durable et juste et vers la réalisation des 17 Objectifs de développement durable (ODD) est presqu’au point mort. En effet, selon le rapport de synthèse de l’ODD 11 (l’ODD 11 vise à rendre les villes et les établissements humains inclusifs, sûrs, résilients et durables.), présenté lors du Forum Politique de Haut Niveau de l’ONU sur les ODD en Octobre 2023, d’ici 2030, nous n’atteindrons pas la plupart des cibles de l’ODD 11 sans des changements majeurs dans la politique urbaine et des investissements dans les gouvernements locaux.

Les conséquences de la non réalisation de l’ODD 11 en particulier sont immenses et impactent directement la vie quotidienne de milliards de personnes. Il est urgent de prévenir les conséquences désastreuses qui nous attendent en changeant la façon dont nous planifions, gérons et gouvernons nos villes et nos établissements humains. Car le prix à payer de la non-réalisation de l’ODD11 est trop élevé. Les établissements informels se multiplieraient dans les régions les plus pauvres, des millions de personnes seraient poussées dans l’extrême pauvreté et chassées de leurs foyers, et les catastrophes climatiques déclencheraient de nouvelles crises urbaines.

Aujourd’hui, les statistiques sont indéniables : l’emploi informel en Afrique représente 85,8 % de tous les emplois (OIT, 2018) et 78 % de tous les nouveaux emplois (OIT, 2020). En terme de la construction urbaine, les experts s’accordent à dire que l’informalité urbaine représente au moins 60 à 80 % du tissu urbain existant des pays en développement (Chen, Kihato & Skinner, 2018).Il est impossible de passer sous silence le dynamisme de l’informalité dans les villes africaines : les vendeurs de rues sont au cœur de la sécurité alimentaire, les modes de transport informels maintiennent la ville en mouvement, les travailleurs à domestiques (femmes au foyer, femmes de ménages, etc.) proposent des services de soins qui assurent l’activité économique. . Cette prise de conscience s’accompagne d’une clarté statistique croissante sur l’ampleur de l’économie informelle urbaine, qui est inconfortablement vaste, et sur sa contribution au PIB du continent. L’informalité est la principale source de revenus pour la plupart des gens et joue un rôle déterminant dans la fourniture de nombreux services urbains. Elle est donc essentielle au fonctionnement des villes africaines. Les prestataires de services informels garantissent la circulation des biens et des services là où les circuits formels ne parviennent pas, et en ce sens, l’informalité aide les villes à fonctionner.

On estime que 84,5 % des activités se déroulant dans les quartiers informels consolidés des villes africaines restent invisibles pour les gouvernements municipaux, et pourtant elles fournissent des services urbains, des biens et des protections sociales indispensables qui rendent la vie en ville possible. Les causes de l’inefficacité de nombreuses villes africaines sont nombreuses, notamment, le manque de responsabilisation des gouvernements locaux, une assiette fiscale trop étroite, des difficultés dans l’administration des taxes locales, et, dans plusieurs cas, une capacité institutionnelle insuffisante. En l’absence de gouvernements locaux efficaces, des villes privées pourraient émerger et se multiplier à l’instar des villes nouvelles, financées majoritairement et gérer par des acteurs financiers (promoteurs, industriels, etc.) privés nationaux et plus souvent internationaux.

« VILLES PRIVEES », UNE SOLUTION AUX PROBLEMES CHRONIQUES DE FINANCEMENT ET DE GESTION DES VILLES ET TERRITOIRES EN AFRIQUE ?

Les villes africaines sont confrontées au défi d’investissement dans les infrastructures économiques (énergie, infrastructures de transport et de télécommunication, zones industrielles, etc.) dans un contexte d’urbanisation rapide où les populations s’installent plus vite que les investissements ne peuvent être réalisés et où le rythme de l’urbanisation s’accélère, avec plus d’un milliard de personnes supplémentaires attendues dans ces villes au cours des 30 prochaines années. Ces énormes déficits dans les infrastructures dans les villes des pays en développement limitent la prospérité et la compétitivité de ces villes, freinent les opportunités de développement économique ainsi que les opportunités de réduction de la pauvreté et des inégalités.

La question de la solvabilité des villes africaines est l’une des principales raisons de la défaillance de l’investissement des collectivités locales africaines. Devant la faiblesse des ressources locales pour faire face aux besoins de populations urbaines, les Etats Nations sont obligées de réaliser les infrastructures structurantes dans ces territoires. Or, les ressources de ces Etats dépendent pour une grande part de la prospérité et de la compétitivité des villes qui auraient dû abriter les activités modernes à hautes productivités (industries et services technologiques de haut niveau, etc.) assurant une base fiscale impotente en lieu et place des activités et services du secteur informel bien moins productives avec une contribution au budget de l’Etat quasi insignifiante.

L’Etat central se tourne à son tour, vers le secteur privé pour combler le déficit en infrastructures urbaines, ou pour créer des villes nouvelles dont les organes de gestion sont généralement indépendants des communes existantes.

Aussi, ce phénomène de villes privées, construites sans une grande participation financières des Etats et  qui existent depuis longtemps dans l’histoire de l’urbanisation, risque -t-il de se généraliser en Afrique. On distingue à travers l’histoire de l’urbanisation du monde, plusieurs types de villes privées, construites et gérer pour un temps plus ou moins long par des entités autres que les Etats Nations ou les pouvoirs publics.

On peut citer les villes de « Letchworth » et « Welwyn », créées par Ebenezer Howard en Angleterre au début du mouvement des « villes jardins » ou « The garden city ». Il y a les villes créées et gérer par les compagnies privés (minières et/ou industrielles) telles que la ville de « Jamshedpur créée en 1907 en Inde par « Jamshedji Tata » et sa compagnie sidérurgique du même nom. On peut citer des villes crées par des associations de la société civile, mai les plus répandues et les plus contemporaines sont celles créées par des promoteurs immobiliers comme « Eko Atlantic City » au Nigéria, ainsi que presque toutes les villes nouvelles en Afrique. Certaines, villes telle la ville de « Sialkot » au Pakistan est gérée jusqu’à présent par un consortium d’entreprises privées qui ont réussi à faire de cette agglomération un important pôle économique du pays. Selon l’ouvrage publié par le Banque Mondiale intitule « Private Cities, Outstanding Exemples from Developing Countries and Their Implications for Urban Policy » de « Yue Li and Martin Rama », Il y a des conditions nécessaires pour l’émergence et le développement de villes privées dont la localisation géographique avantageuse de la ville concernée, une absence d’organe de gestion ou un faible niveau de gouvernance locale, l’engagement d’une structure privé avec une avérée en matière de promotion immobilière et disposant d’important moyen techniques, humains et financiers et un environnement institutionnel incitatif. Mais il y a aussi et surtout des limites ou des défauts de la villes privés. Il s’agit entre autres, la production d’éléphants blancs ; ces grands projets urbains qui échouent pour diverses raisons dont une mauvaise coordination des acteurs, les difficultés à assurer la mobilisation des ressources financières, etc., le non-respect des questions environnementales et la non prise en compte des risques naturelles et technologiques, la ségrégation sociale et l’exclusion des ménages pauvres ainsi que l’absence de gestion démocratique ou basée sur des institutions légales. Ces villes sont gérées comme des entreprises privées avec des institutions ad hoc.

Si l’implication du secteur privé dans la fabrique urbaine en Afrique est salutaire, elle devrait aussi, aider à améliorer la gestion et le développement les villes existantes aux infrastructures vétustes, qui s’urbanisent fortement et continuent de s’étaler sans une réelle maîtrise des périphéries urbaines.

L’urbanisation est devenu un phénomène quasi-généralisé dans le monde et est un fait incontournable pour les gouvernements comme pour leurs populations. Les responsables de la gestion urbaine (Etas Nations et élus locaux) devraient percevoir toutes les villes non seulement comme des agglomérations de ménages auxquels il faut apporter les services nécessaires, mais aussi comme des entités économiques (des « super entreprises ») exerçant leur influence sur un territoire dépassant les limites de l’agglomération, dont il faut assurer la prospérité et améliorer la compétitivité. En effet, lieu de vie de plus de la moitié de l’humanité, les villes sont traditionnellement le lieu de concentration des activités économiques (industries et services à haute valeur ajoutée) à haute productivité, pourvoyeuses d’emplois décents et de progrès social. Seul un pouvoir public légitime peut permettre de relever les défis urbains en remettant au centre la justice spatiale, la question de la répartition des ressources locales, la réduction des inégalités et des injustices socio-spatiales interurbaines (si l’on prend par exemple la question très des risques urbains) et intra-urbaines, entre centres et périphéries, quartiers planifiés et quartiers précaires, quartiers anciens et extensions nouvelles.

Ces actions doivent être en cohérence avec l’ODD11 des Nations Unies ; « Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables ». Sans villes et communautés durables, il sera difficile de réaliser le reste de l’Agenda 2030 et de nombreux autres programmes mondiaux comme la Nouvel Agenda Urbain (NUA) de ONU-HABITAT.


 

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