À l’approche du 80e anniversaire du massacre de tirailleurs sénégalais au camp de Thiaroye (1er Décembre) , à Dakar, historiens, avocats et députés se sont réunis à l’Assemblée nationale pour une conférence-plaidoyer. Dix ans après l’évocation par le président François Hollande « d’une répression sanglante », ils réclament une reconnaissance officielle de ce massacre par la France et la création d’une commission d’enquête parlementaire.
Quatre-vingts ans après les faits, l’omerta autour de ce massacre commence peu à peu à se fissurer. À un mois du 80e anniversaire, historiens, membres d’associations, avocats et élus se sont réunis au palais Bourbon pour réclamer la reconnaissance officielle par l’État français de l’exécution de ces tirailleurs. « C’est un massacre sanglant et épouvantable qui a été pendant longtemps recouvert par une chape de plomb. La France a vraiment beaucoup de difficultés a reconnaître une partie importante de son histoire », souligne en guise d’introduction la députée socialiste Colette Capdevielle, à l’initiative de cette conférence. « Comment pouvons-nous continuer à détourner ainsi notre regard ? »
Rompant avec le déni de ses prédécesseurs, l’ancien président François Hollande avait fait un premier pas en 2014 en inaugurant aux côtés du président Macky Sall un mémorial au cimetière de Thiaroye, à l’endroit même où les tirailleurs sénégalais avaient été tués par l’armée coloniale française. « Je voulais réparer une injustice et saluer la mémoire d’hommes qui portaient l’uniforme français et sur lesquels les Français avaient retourné leurs fusils, car c’est ce qui s’est produit« , avait alors déclaré l’ancien chef de l’État, tout en remettant à son homologue sénégalais une copie des archives françaises sur Thiaroye. Alors que l’ancien chef de l’État avait dit avoir mis à disposition « l’intégralité des archives » sur le sujet, elle affirme également que les documents les plus sensibles comme la liste des victimes ou encore la cartographie des fosses communes sont toujours inaccessibles.
Un blocage « au niveau des technocrates du ministère des armées, qui ne veulent absolument pas qu’on revienne sur le récit officiel », explique l’historienne, qui estime que le bilan du massacre se situe autour des 400 morts, contrairement aux 35 tirailleurs tués comptabilisés par l’armée française. Feuilles en main, Armelle Mabon montre les dizaines de procédures judiciaires qu’elle a lancées pour obtenir accès à ces archives. « On me dit encore non et non ! », s’emporte-t-elle.
Une demande de procès en révision
En juin dernier, une décision mémorielle inédite a toutefois été prise dans ce dossier. Six tirailleurs africains exécutés à Thiaroye ont été reconnus « Morts pour la France ». « Ce geste s’inscrit dans le cadre des commémorations des 80 ans de la libération de la France comme dans la perspective du 80e anniversaire des évènements de Thiaroye, dans la droite ligne mémorielle du président de la République, qui souhaite que nous regardions notre histoire ‘en face' », avait indiqué le secrétariat d’État français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire.
L’avocat Hervé Banbanaste, qui conseille Armelle Mabon dans ses démarches juridiques, se félicite de ce nouvel élément tout en percevant une « légère contradiction ». « Il va falloir qu’on nous explique comment on peut être à la fois mutin et ‘Mort pour la France' », souligne-t-il, non sans ironie.
Des membres d’associations, de la société civile et des élus demandent également la reconnaissance officielle du massacre perpétré à Thiaroye par une résolution votée à l’Assemblée nationale, des excuses formelles de la République, le versement de réparations à leurs descendants, une journée nationale du massacre le 1er décembre , un travail conjoint d’analyse et d’actions avec les pays africains concernés par cette histoire, et enfin la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le drame de Thiaroye et la manière dont il a été géré.
Un déplacement du président Macron pour le 80e anniversaire ?
Une vingtaine de parlementaires soutiennent déjà ces propositions. Parmi eux figure la députée socialiste Dieynaba Diop. « Pendant longtemps, je n’ai jamais entendu parler de ce massacre », raconte cette ancienne professeure d’histoire qui a découvert les faits pendant ses études grâce au film d’Ousmane Sembène.
Ces parlementaires espèrent profiter des 80 ans de l’évènement pour faire avancer ce dossier. Le député de la France insoumise Carlos Martens Bilongo rappelle d’ailleurs que le président Emmanuel Macron a évoqué un « éventuel futur déplacement » à Dakar le 1er décembre.
Lors de son discours à l’occasion des 80 ans du débarquement de Provence, le chef de l’État avait annoncé avoir été invité par son homologue sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, pour participer aux commémorations de la Journée du tirailleur, qui coïncide avec l’anniversaire du massacre de Thiaroye. Pour Carlos Martens Bilongo, à quelques semaines de cette date symbolique, les députés peuvent « mettre une pression » par leurs travaux.