Le conflit en Ethiopie est une démonstration de la maladresse de l’ingérence de grandes puissances pour défendre leurs intérêts géostratégiques faisant obstacle aux initiatives locales et africaines, naturellement plus efficaces.
La guerre en Ethiopie menace gravement la stabilité du pays. Une situation qui a obligé, le Premier Ministre Abiy Ahmad à descendre lui-même sur le terrain pour diriger ses troupes et aider à stopper l’avancée des rebelles du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) appuyé par d’autres mouvements dans une coalition qui avait réussi à s’approcher de la capitale Addis-Abeba.
Aujourd’hui, les autorités éthiopiennes annoncent la reprise de certaines localités et la capitale n’est pas encore envahie, contrairement aux craintes exprimées par les anciens alliés occidentaux d’Addis-Abeba, mais la guerre se poursuit et une tension vive existe entre l’Ethiopie et ses derniers. Car, sans nul doute, le pays est au centre d’une bataille géostratégique entre grandes puissances. Le Premier Ministre Abiy, après avoir reçu le Prix Nobel de la paix en 2019, se ravitaille aujourd’hui en armements en Turquie surtout pour les drones, la Chine, l’Iran. Ce qui, irrite les Américains qui, de 2016 à 2020, aurait injecté une aide de 4,2 milliards de dollars dans le pays.
Aujourd’hui, le torchon brûle manifestement entre l’Ethiopie et ses anciens alliés même si les Etats-Unis ont dépêché un émissaire dans la région pour tenter d’éteindre le feu, Jeffrey Feltman. Le hic, c’est que ce dernier n’a pas manqué de critiquer le gouvernement fédéral éthiopien en affirmant que ses politiques entraînent une famine massive, et le compare au régime syrien de Bachar el-Assad. Une diatribe américaine suivie d’initiatives de départ de leurs ressortissants de la part de certains pays comme la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, suivis en cela par les Nations-Unies, elles-mêmes.
Tout s’est passé comme si, à l’image ce qui s’est passé récemment en Afghanistan, l’Occident signait ainsi la fin du régime de Abiy. Ce qui, ce dernier et ses alliés ne pouvaient pas évidemment accepter. Et leur réaction a été des plus radicales. « L’ambassade américaine, terroriste ! » Cette diatribe, postée le 27 novembre sur Facebook, émane de Taye Dendea, vice-ministre de la paix, l’équivalent du ministère de l’intérieur en Ethiopie. Dans son message, le responsable politique compare la chancellerie des Etats-Unis à un « cobra qui mord ». Il l’invite également à « quitter l’Ethiopie, et progressivement l’Afrique entière ». Des manifestations anti-ingérences ont été notées en Ethiopie mais aussi en Afrique du Sud et ailleurs dans le monde de la part d’Ethiopiens dont certains dénoncent le fait que ces pays occidentaux souhaitent le retour des rebelles du Tigré aux affaires. On parle ainsi de plus en plus de néocolonialisme dans le pays et de lutte pour le panafricanisme dont l’Ethiopie qui est le seul pays africain à n’avoir jamais été colonisé est le porte-étendard.
Cette récente hostilité de l’appareil d’Etat à l’égard de l’Occident peut se résumer en un hashtag : #NoMore ou #Beka en langue amharique (#Assez). Popularisé sur les réseaux sociaux par la porte-parole d’Abiy Ahmed, le slogan s’est répandu comme une traînée de poudre au sein de la société éthiopienne. Il est brandi en réponse aux appels à un cessez-le-feu de la communauté internationale, après la récente avancée rebelle à moins de 200 kilomètres de la capitale Addis-Abeba. Un hashtag repris même en dehors de l’Ethiopie, plus particulièrement en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Mali, etc.).
Solutions africaines
En tout état de cause, il faut souligner que les politiques actuelles hostiles de l’Occident peuvent faire mal au pays. Les sanctions contre de hauts responsables et les décisions subites de retrait qui ont créé une onde de choc parmi les dirigeants et les populations ne sont pour arranger la situation. Car, le premier effet négatif a été de radicaliser les dirigeants notamment le premier Ministre qui, de prix Nobel de la paix, s’est mué en Chef de guerre. Pis, le fait que le pays expulse des diplomatiques occidentaux entre dans une forme d’escalade qui aurait pu être évitée. Il est important, dans tous les cas, que la communauté internationale respecte la souveraineté de l’Ethiopie. Ce qui veut dire respecter son intégrité territoriale, ses choix stratégiques notamment en matière de coopération, de fourniture d’armes pour se défendre, etc.
Mieux, il faut que ces diplomates étrangers s’abstiennent de fournir des informations aux séparatistes du Tigré du FLPT et à tout autre mouvement rebelle allié. En clair, ‘’les problèmes africains ne peuvent avoir que des solutions africaines’’ comme l’a annoncé, ce lundi 6 décembre, le Président de la Commission de l’Union africaine, le tchadien Moussa Faki Mahamad à l’ouverture du Forum sur la paix et la sécurité à Dakar.
La CEDEAO a par exemple montré un bel exemple de résolution des conflits en Gambie il y a de cela 5 ans avec le départ négocié fermement de l’ancien Président Yayah Jammah. C’est cela la voie à suivre, avec, maintenant, l’appui des Nations-Unies dans un cadre tout à fait légal. Or, comme le passé l’a démontré au Mali et au Soudan, les sanctions brandies contre l’Ethiopie ne font qu’avantager les rebelles séparatistes. Il en est ainsi de l’annonce du retrait de l’Ethiopie de la liste des pays bénéficiant de l’African Growth Opportunities Act (AGOA). Comme quoi, les enjeux des batailles géopolitiques et géostratégiques ne font qu’attiser les conflits à l’intérieur des Nations africains et entre les Etats.
Et il ne faudrait pas que ceux qui sont censés aider à la résolution des conflits contribuent en connaissance de cause ou pas, à leur aggravation.