Amnesty International a publié le rapport annuel 2024 qui revient sur la situation des droits humains au Sénégal sur la période 2023. A cette occasion, une conférence de presse a eu lieu ce mercredi 24 avril 2024 à Dakar.
Sur la période considérée, il est à noter que la répression des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique s’est poursuivie à l’approche de l’élection présidentielle. Des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s et des journalistes ont été arbitrairement arrêtés et placés en détention. Les forces de défense et de sécurité ont utilisé une force excessive lors de manifestations, et des personnes ont en conséquence été blessées ou tuées. Cette année encore, des enfants talibés ont été forcés à mendier. La discrimination exercée contre les femmes et les filles dans le cadre du mariage a continué.
La période précédant l’élection présidentielle prévue pour février 2024 a été marquée par des tensions politiques, et des partis d’opposition ainsi que des organisations de la société civile ont organisé des manifestations. En mai, Ousmane Sonko, un dirigeant de l’opposition, a été condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis pour injure publique et diffamation envers un ministre du gouvernement. Le 1er juin, un tribunal de Dakar l’a également condamné à deux ans d’emprisonnement pour « corruption de la jeunesse » à la suite d’accusations de viol. Le mois suivant, il a été inculpé d’appel à l’insurrection et de complot contre l’autorité de l’État, entre autres chefs. En juillet, le président Macky Sall a annoncé qu’il n’allait pas briguer un troisième mandat. Le même mois, le ministère de l’Intérieur a dissous le PASTEF, le parti politique d’Ousmane Sonko, lui reprochant d’avoir « appelé ses partisans à participer à des mouvements insurrectionnels ».
Liberté d’expression et de réunion
Plusieurs manifestations organisées par Yewwi Askan Wi, principale coalition de l’opposition, et par les organisations de la société civile F24 et FRAPP ont été interdites sous prétexte d’empêcher des troubles à l’ordre public.
Les autorités ont refusé de lever l’interdiction, en vigueur depuis 2011, des manifestations politiques dans le centre de Dakar, malgré une décision de la Cour de justice de la CEDEAO.
À la suite des manifestations organisées en juin en soutien à Ousmane Sonko après sa condamnation à deux ans d’emprisonnement pour « corruption de la jeunesse », l’accès à Internet au moyen des données mobiles a été restreint par les autorités1 et TikTok n’était prononcés contre le renvoi en jugement accessible qu’en utilisant un réseau privé virtuel2. Le signal de Walf TV, qui a couvert les manifestations, a été coupé sans préavis par le ministère de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique pendant le mois de juin.
Arrestations et détentions arbitraires
Entre janvier et octobre, plus d’un millier de personnes ont été arrêtées et placées en détention principalement en raison de leur participation à des manifestations ou de leur lien présumé avec le PASTEF.
Hannibal Djim, qui avait organisé des campagnes de collecte de fonds pour soutenir le PASTEF, a été arrêté en février et placé en détention pour « financement d’activités séditieuses et subversives, appel à l’insurrection, incitation à des actes de nature à troubler la sûreté de l’État et apologie de la violence ». Il se trouvait toujours en détention à la fin de l’année. Falla Fleur a été arrêtée en mai et placée en détention en raison de ses publications sur Facebook soutenant le PASTEF ; elle a été inculpée d’« actes et manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique » et de « provocation directe à un attroupement armé ». Les autorités l’ont remise en liberté le 6 novembre. Aliou Sané, coordonnateur du mouvement Y’en a marre et vice- coordonnateur de la plateforme F24, a été inculpé de « participation à une manifestation non déclarée et trouble à l’ordre public ». Il était encore détenu à la fin de l’année.
Journalistes
Des journalistes ont été arrêtés, placés en détention et condamnés à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès engagés contre eux notamment pour diffamation ou diffusion de fausses nouvelles.
Le 7 mars, le journaliste Pape Ndiaye a été arrêté et placé en détention. Il était notamment inculpé de « diffusion de fausses nouvelles » et d’« outrage à magistrat » pour avoir affirmé sur la chaîne Walf TV que 19 substituts du procureur s’étaient d’Ousmane Sonko pour viol présumé. Pape Ndiaye a été libéré à titre provisoire le 21 juin. En mai, Serigne Saliou Gueye, directeur de publication du quotidien Yoor- Yoor, a été arrêté après que son journal eut publié un article critiquant des magistrats à la suite d’une décision de justice rendue dans l’affaire du procès en diffamation contre Ousmane Sonko. Il a été inculpé de « publication d’écrits de nature à discréditer les actes ou décisions judiciaires, diffusion de fausses nouvelles de nature à discréditer les institutions publiques et usurpation de la fonction de journaliste ». Serigne Saliou Gueye a été remis en liberté provisoire le 21 juin3. Le journaliste Pape Ale Niang a été arrêté le 29 juillet et inculpé d’« appel à insurrection et actes ou manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique » après la diffusion d’une vidéo dans laquelle il évoquait la récente arrestation d’Ousmane Sonko. Il a été remis en liberté provisoire le 8 août après une grève de la faim.
Défenseur.e.s des droits humains
En juillet, Oudy Diallo, président de l’association Kédougou Alerte Environnement et de la commission de l’environnement du conseil départemental de Kédougou, a été condamné à six mois d’emprisonnement. Il avait été inculpé de « diffusion de fausses nouvelles, collecte et diffusion de données à caractère personnel, outrage à un adjudant de la brigade de la gendarmerie de Saraya dans l’exercice de ses fonctions et diffamation à l’égard d’une institution militaire de la gendarmerie nationale » parce qu’il avait publié sur Facebook une photo de cet adjudant qu’il accusait de complicité avec des entreprises chinoises dans l’exploitation illégale présumée de l’or dans la région de Kédougou.
Recours excessif à la force
Entre mars 2021 et juin 2023, au moins 56 personnes ont été tuées dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre lors de manifestations, et un millier d’autres au moins ont été blessées. En mai, des habitant·e·s de la commune de Ngor, à Dakar, ont manifesté pour dénoncer l’attribution à la gendarmerie d’un terrain sur lequel la construction d’un établissement scolaire était prévue. Selon des témoins et les médias, une jeune fille de 15 ans, Adji Diallo, a été tuée par balle lors des manifestations, au cours desquelles on a vu des gendarmes ouvrir le feu sur des manifestant·e·s en réaction à des jets de pierre et utiliser des gaz lacrymogènes dans des espaces confinés où se trouvaient des manifestant·e·s et des habitant·e·s. Des vidéos vérifiées par Amnesty International montraient des gendarmes en train de frapper des personnes arrêtées et menottées et d’utiliser des hommes comme boucliers humains pour progresser dans un quartier barricadé4.
En juin, lors des violentes manifestations qui ont eu lieu à Dakar et à Ziguinchor à la suite de la condamnation d’Ousmane Sonko pour « corruption de la jeunesse », des policiers et des hommes armés en civil agissant parfois de concert ont tiré à balles réelles5, tuant au moins 29 personnes et en blessant au moins 390, selon la Croix-Rouge sénégalaise.
En septembre, deux hommes ont été tués par balle par la police lors de violentes manifestations menées par des jeunes gens dans la commune minière de Khossanto, dans le département de Saraya (région de Kédougou). Ces manifestations visaient un arrêté préfectoral au titre duquel des représentant·e·s des autorités administratives remplaceraient les chefs de village à la tête des commissions chargées du recrutement de la main-d’œuvre locale non qualifiée pour les mines d’or.
Aucune information n’a été communiquée au sujet de l’enquête judiciaire portant sur la mort de 14 hommes, dont 12 tués par les forces de défense et de sécurité, lors des manifestations qui avaient eu lieu dans plusieurs villes en mars 2021 après l’arrestation d’Ousmane Sonko.
Droits des femmes et des filles
Le Code de la famille conférait toujours la « puissance paternelle et maritale » aux hommes uniquement et désignait le père en tant que chef de famille, ce qui privait les femmes de droits et d’autorité sur leur ménage et leurs enfants. L’article 111 du Code de la famille fixait l’âge minimum légal pour contracter un mariage à 16 ans pour les filles contre 18 ans pour les garçons, privant ainsi les filles du droit à l’égalité dans le mariage.
Droits des enfants
La pratique consistant à forcer les garçons talibés — les élèves des écoles coraniques, ou daaras — à mendier demeurait courante. Le gouvernement n’a pas adopté le projet de code de l’enfant et le projet de loi sur le statut des daaras. Le secteur de la protection de l’enfance a continué de pâtir d’un financement insuffisant, ce qui s’est traduit par un manque de protection des enfants talibés, qui subissaient des violations de leurs droits fondamentaux, notamment de leur droit à la vie, à la survie et au développement, ainsi que de leur droit de ne pas subir quelque forme que ce soit de violence physique ou mentale.