Dakar est envahi par les moto-livreurs communément appelés Thiak Thiak. Ce nouveau business est devenu l’appât des jeunes en quête d’emploi. Cependant, beaucoup qui ont investi dans ce domaine commencent à regretter et pointent du doigt les jeunes par manque de sérieux et de professionnalisme. Un tour chez ces jeunes lève un coin du voile sur ce métier.
Investir dans les moto-Thiak-Thiak est devenu un business à Dakar où les deux roues vont désormais partie du décor de la capitale. Cependant, cet investissement n’est pas sans perte. Comme en témoigne Modou Diop, un sénégalais rencontré à côté du croisement Cambérène. « J’avais investi pour aider un jeune en quête d’emploi d’en trouver mais malheureusement pour moi, il n’a pas été sérieux », regrette-t-il. Et de poursuivre : « J’ai beaucoup perdu car il venait chaque jour de me parler de pannes injustifiées. Il me facturait des réparations et la moto n’a jamais était en bon état ». Finalement, ce jeune investisseur a décidé tout bonnement de retirer son bien et de la garer pour toujours. Une situation qu’il n’est pas le seul à vivre. Youssou Diallo en a payé les frais. « J’avais donné ma moto pendant un mois à un jeune qui a finalement coulé le moteur et l’a forcé en conduisant la moto », se désole-t-il. A l’en croire, ce jeune a nié avoir gâté complètement sa moto et est revenu pour la reprendre. « Je lui ai fait savoir que c’est fini entre lui et moi », tonne-t-il.
«Il a disparu avec les papiers de la moto »
Comme Modou Diop et Youssou Diallo, Abdou Faye a vécu pire. Cet homme a été roulé dans la farine. « j’avais confié à un jeune ma moto pour qu’il me verse chaque jour, mais ce jeune n’a pas trouvé mieux que disparaitre avec mon bien en emportant avec lui les papiers avec l’assurance de la moto. Chaque trois mois, je renouvelle ma plainte car il est introuvable », regrette-t-il. Même sort pour M .N, impossible pour lui de mettre la main sur le jeune à qui, il avait confié sa moto. «Il a disparu avec ma moto toute neuve qui n’a pas roulé 4 mois », dit-il. Ce dernier a vécu pire que ces prédécesseurs. « Il a vendu ma moto pour prendre les pirogues pour l’Europe, depuis lors je n’ai aucune de ses nouvelles », raconte-t-il le cœur meurtri.
«On m’a volé une moto toute neuve avec sa carte grise à 560 000 F Cfa »
Lamine Ba n’a que ses yeux pour pleurer. Ce dernier a investi dans les Thiak-thiak, un domaine méconnu pour lui les yeux fermés. Sa surprise a été grande de voir une personne de confiance prendre la poudre d’escampette quelques jours après. « En voulant aider un jeune en chômage, je me suis fait avoir. Il a tout bonne disparu, avec la moto qui m’a couté 560 000 F Cfa, depuis lors il n’a pas donné aucune nouvelle », confesse-t-il.
«Il ne faut pas demander un versement de 3000 F CFA par jour car cela n’arrange les conducteurs »
D’autres tentent de donner des solutions pour un investissement rentable pour Thiak-Thiak. C’est le cas de ce jeune homme trouvé à l’arrêt de bus du Front de Terre. « Il ne faut pas demander un versement de 3000 F CFA par jour car cela n’arrange les conducteurs et ils ne pourront pas entretenir la moto », fait-il savoir. Il préconise de dire au jeune de le conduire pendant six mois en respectant le versement et la moto sera à lui. Et c’est sûr qu’il va bien entretenir ton bien », recommande-t-il.
Mouhamed Lamine Seck, Président de l’association des Thiak Thiak
«Investir les Thiak-Thiak n’est plus rentable»
Le président de l’association des Thiak-Thiak, Mouhamed Lamine Seck s’est prononcé sur l’expansion de ce métier qui connait son essor ces derniers temps. Selon lui, investir dans ce métier n’est plus rentable.
Quelles sont les difficultés et les risques d’investir dans ce domaine?
L’investissement sur les Thiak Thiak n’est plus rentable car c’est un milieu qui est devenu saturé avec beaucoup de risque. Les jeunes n’ont pas d’expériences et beaucoup roulent sans permis. Beaucoup investissent dans ce domaine en voulant aider un jeune mais ce dernier peut ne pas pouvoir respecter ses engagements. Une situation est due à la cherté du carburant qui a connu une hausse. Si le propriétaire donne une moto qui n’est pas neuve ou qui est d’occasion, elle sera tout le temps en panne. Ce qui énerve les propriétaires qui va vouloir le récupérer ou croire qu’il est en train d’être arnaqué. Nous courons le risque d’être victime de vol car n’ayant aucune garantie. Il y a des jeunes qui ne veulent pas travailler mais utilisent les motos pour se vanter. Ce qui est plus rentable est qu’un propriétaire de restaurant engage un jeune pour la livraison de repas ou avoir des contrats avec des boutiques de vente en ligne.
Quels conseils donnez-vous aux jeunes?
Conduire un Thiak-Thiak n’est pas un métier. J’invite les jeunes à faire des formations de chercher un métier. Tous les chômeurs ont investi ce métier pour travailler. Ils ne connaissent pas le code de la route, ce qui crée des accidents. Les jeunes des régions sont venues à Dakar où ils peuvent avoir plus d’argent dans une course qu’à l’intérieur du pays où ils recevaient 300 voire 200 F Cfa pour le transport. Alors qu’ici, ils peuvent avoir 2 000 F Cfa pour une course et même les étrangers ont investi ce domaine. Ils ont de grosses motos pour la livraison alors qu’eux peuvent s’en sortir car ils se partagent une chambre pour plusieurs personnes. Nous, nous payons la location car nous vivons dans des appartements. Ce n’est plus un métier et l’Etat doit les soutenir. Ils peuvent même investir dans l’agriculture et l’élevage, ce qui peut faire avancer un pays. On ne peut pas exercer ce métier jusqu’à la retraite
Qu’est-ce qui vous a incité à faire ce métier?
J’étais agent commercial dans une agence de télécommunication. Un de mes amis est revenu de l’Europe et m’a incité à faire du Thiak Thiak. Nous avons commencé à livrer des fruits et j’ai eu un bénéfice de 50 000 C Cfa. Et le lendemain, j’ai eu la même somme. A cette période, le métier n’était pas encore saturé. Il m’arrivait d’avoir 300 000 F Cfa dans la semaine voire même 500 000 F Cfa. Vraiment, je m’en sortais car à ces temps, je n’avais pas de travail. Et cela m’a tenté de continuer. En ce moment, il y a trop de perte et je ne veux que mon enfant exerce ce métier. J’ai dépassé cela maintenant, je me tourne vers le transport automobile.
PORTRAIT
Seydina Alioune Fall, un pionnier dans la livraison
Seydina Alioune Fall, président des livreurs Thiak-Thiak a embrassé le métier de livraison en 2012. Etudiant à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar à la faculté des sciences juridiques et politiques, ce pensionnaire du temple du savoir a remarqué que ses camarades avaient la paresse de sortir pour chercher à manger ou faire des photocopies. Il s’est engagé à leur faire des courses moyennant des tickets de restaurants. Au début, la course se faisait à pied et il collectionnait les tickets pour revendre ceux qu’il n’utilisait pas. C’est avec cette petite économie qu’il a pu se procurer un vélo pour faire ses livraisons au sein du campus. Ce nouveau travail lui a permis d’avoir par la suite une moto pour livrer dans les quartiers environnants comme Medina, Gueule Tapée, Point E entre autres. Seydina Alioune Fall a ainsi commencé à servir en dehors de Dakar comme Mbour, Thiès et Sébikotane. Après son master 2, il a fait des stages dans beaucoup de services notamment à la Sicap auprès de l’adjoint à l’urbanisme, dans les mairies comme spécialiste en droit des collectivités territoriales. Pour le moment, Seydina Alioune Fall continue à exercer ce métier en attendant de pouvoir faire valoir ses diplômes acquis à l’université Cheikh Anta Diop. Il indique qu’il faut s’armer de discrétion pour évoluer dans la livraison. Ce jeune livreur ne manque pas d‘évoquer les problèmes du milieu. Il s’agit pour lui, des difficultés avec les policiers qui les interceptent en pleine course moyennant 6 000 F Cfa comptant ou 12 000 F Cfa une fois au commissariat. Tout ceci avec le risque de perdre les bagages des clients en cours de livraison. Il milite de bénéficier d’un reçu et de pouvoir payer une fois que la somme est rassemblée comme les automobilistes. M. Fall ajoute à cette liste, une carte professionnelle pour circuler librement, leur différend avec les taximan qui les prennent comme des concurrents et qui les accusent de faire leurs versements. Les clients ne sont pas exempts de reproche car il arrive qu’ils peinent à les joindre une fois à destination. De la part des autorités, ce jeune livreur les invite à mettre en place des mutations gratuites, des équipements et un permis de conduire. Sur le manque de sérieux chez certains livreurs, Seydina Alioune Fall est d’avis qu’on ne peut pas les mettre tous dans le même sac. Il conseille aux jeunes de faire ce métier avec responsabilité dans la discipline en évitant toute escroquerie.
NGOYA NDIAYE