Le président du Conseil constitutionnel Mamadou Badio Camara est décédé, ce jeudi 10 avril 2025, à Dakar, à l’âge de 73 ans. La levée du corps de l’illustre magistrat est prévue ce vendredi 11 avril 2025, à 10 heures, à l’hôpital Principal de Dakar. La prière mortuaire sera ensuite effectuée à la Grande Mosquée Omarienne, juste après la prière de Jummah. L’inhumation est prévue au cimetière de Pikine.
Le président du Conseil constitutionnel, Mamadou Badio Camara, décédé jeudi, à Dakar, à l’âge de 73 ans, a sans doute été l’un des acteurs-clés du dénouement apaisé du processus électoral ayant débouché sur l’investiture le 2 avril 2024, de Bassirou Diomaye Faye comme cinquième président du Sénégal. Mamadou Badio Camara, membre du Conseil constitutionnel depuis 2021, avait été désigné par décret, le 5 septembre 2022, président de cette institution en remplacement de Papa Oumar Sakho, arrivé au terme de son mandat.
Cet éminent magistrat, ancien chef de la Cour suprême, était jusque-là resté discret. Mais il était sorti de l’ombre il y a un an, devenant presque une figure publique en arbitrant une crise politique inédite. Le président Macky Sall avait alors annoncé un report sine die de la présidentielle, invoquant des irrégularités dans le processus de sélection des candidats. Mais le Conseil constitutionnel, consulté par l’exécutif, s’est prononcé contre ce report. Une décision historique qui a contraint les autorités à organiser l’élection avant la fin du mandat de Macky Sall, le 2 avril. Le Conseil constitutionnel sous sa présidence avait rejeté le projet de modification de la Constitution qui devait ouvrir la voie à la tenue du scrutin en décembre et publié d’autres arrêts et décisions ayant, en fin de compte, favorisé une bonne tenue de l’élection finalement organisée le 24 mars 2024.
L’homme qui a sauvé la Présidentielle de 2024 et le Sénégal du chaos
Dans un discours prononcé à Paris en octobre 2024, à l’occasion de la « Nuit du droit », Mamadou Badio Camara avait confié que le Conseil avait également émis un avis ferme contre l’éventualité d’un troisième mandat présidentiel. Il avait alors souligné que cet avis, bien que non public, avait contribué à dissuader le président Sall de se représenter. ”Il y a eu beaucoup de tensions, beaucoup de pression. C’est peut-être un peu normal. C’est une élection présidentielle et les enjeux sont importants. Les politiques peuvent être féroces avec tous ceux qui peuvent contredire ou contrecarrer leur projet. On a fait l’effort d’exercer notre métier de la manière la plus conforme à la Constitution Sénégal et à notre métier”, déclarait-il le 3 octobre dernier à Paris à l’édition 2024 de la Nuit du droit, un évènement organisé par le Conseil constitutionnel français. Une déclaration somme toute empreinte de sérénité, de lucidité et traduisant une capacité de résistance aux pressions.
Aujourd’hui, c’est ce rôle clé que saluent de nombreux Sénégalais, notamment sur les réseaux sociaux.« Il a sauvé le Sénégal d’un basculement certain », écrit un internaute. « Durant la crise, le Conseil constitutionnel a joué un rôle fondamental », analyse le défenseur des droits humains Alioune Tine. « On a pu aller aux élections, et il s’est dressé sur la route de Macky Sall. Il a eu le courage de l’arrêter », a salué le directeur de l’Afrikajom Center. Avant de recevoir le serment du président élu, le 2 avril 2024, Mamadou Badio Camara lui avait rappelé qu’il était « le choix incontestable et éclatant du peuple sénégalais », incarnant « la volonté de notre peuple de changer de paradigme dans sa gouvernance et de génération dans son gouvernement ».
Selon lui, « il porte sur ses épaules les espoirs de toute une nation, en particulier ceux de ces jeunes hommes et jeunes femmes, parfois accompagnés d’enfants, dont l’aspiration à un travail digne et à une vie décente reste intacte, au point de risquer leur vie en affrontant les océans ou l’immensité des déserts, dans une quête tragique et souvent illusoire d’une vie meilleure ».
Les conseils à Bassirou Diomaye Faye
Dans ses conseils à Bassirou Diomaye Faye, Mamadou Badio Camara soulignait que « à l’heure où surgiront les inévitables tentations du pouvoir, l’ivresse de la puissance, les démons de la division, il faudra se souvenir de la main de Dieu, dont la volonté domine et détermine inéluctablement les moments que nous vivons ». Rappelant au nouveau président qu’il est désormais le garant de la démocratie sénégalaise, du respect des institutions, des droits et libertés — piliers de la stabilité de l’État et de l’unité nationale — Mamadou Badio Camara avait formulé un vœu : « Que le Sénégal soit épargné de toutes les turpitudes, surtout à la veille de l’exploitation future de son pétrole et de son gaz. »
Par ailleurs, lors de la cérémonie d’investiture de Bassirou Diomaye Faye, Mamadou Badio Camara avait tenu à répondre aux critiques visant l’institution qu’il dirigeait. « Le Conseil constitutionnel, face à ceux qui ont tenté de le déstabiliser par des moyens non conventionnels, a, au nom du peuple, dit le droit, sans haine ni crainte », avait-il affirmé. À ses yeux, le Sénégal n’a jamais connu de crise institutionnelle. « Le président de la République et son gouvernement, tout comme l’Assemblée nationale, ont toujours accepté de se soumettre à nos décisions. C’est dire qu’il n’y a pas de crise institutionnelle, mais une volonté commune de ne jamais sortir du cadre délimité par la Constitution », estimait-il.
Selon lui, le suffrage des Sénégalais reste le seul véritable recours pour surmonter les tensions politiques. « Des amis en Afrique nous disent souvent que, chaque fois que le pire est prédit au Sénégal en raison des fortes tensions et des animosités exacerbées, les Sénégalais arrivent toujours à retomber sur leurs pieds, comme si de rien n’était. Forts de ce constat, ils nous demandent : mais quel est donc votre secret ? À mon avis, le secret est dans le bulletin de vote », avait confié Mamadou Badio Camara. Le président du Conseil constitutionnel concluait ainsi : « Dans leur intime conviction et leur claire conscience, les citoyens électeurs peuvent, avec leurs bulletins de vote, changer décisivement le cours de leur destin, dès lors que l’administration et les organes de contrôle du processus électoral font preuve de professionnalisme, sous le contrôle d’une justice impartiale. »