À l’aube de la sixième extinction, des scientifiques cherchent à savoir en combien de temps la biodiversité s’est effondrée, puis régénérée par le passé, en analysant les gastéropodes d’eau douce en Europe. Leurs résultats fournissent une preuve supplémentaire qu’une action immédiate est nécessaire pour protéger la biodiversité.
Les chercheurs ont finalement estimé que la diversité des espèces de gastéropodes d’eau douce en Europe a diminué de 92,5 % en moyenne à la fin du Crétacé. Par ailleurs, la phase d’extinction aurait duré 5,4 millions d’années, suivie d’une période de rétablissement de 6,9 millions d’années. Ces gastéropodes s’alignent donc avec les principaux groupes d’animaux et de plantes terrestres et marins qui ont connu un fort déclin ou ont complètement disparu comme les dinosaures.
La crise de la biodiversité actuelle, souvent appelée la sixième extinction de masse, est l’un des défis critiques auxquels nous sommes confrontés au XXIe siècle. Elle ressemble à plusieurs égards à la cinquième extinction de masse, datant d’il y a 66 millions d’années et qui a mis fin au Crétacé. Cette dernière aurait éradiqué environ 76 % des espèces de la planète, y compris des groupes d’animaux tels que les dinosaures.
Mais aujourd’hui, pas d’astéroïde en vue. De nombreuses espèces sont menacées à cause des impacts humains directs ou indirects : changement climatique, pollution, surexploitation des terres et destruction de l’environnement, entre autres. En 2020, un rapport de Planète vivante avait estimé que les activités humaines étaient responsables en majeure partie du déclin de 68 % des populations de vertébrés, en moins d’un demi-siècle.
L’indice Planète vivante mondial : de 1970 à 2016. L’abondance moyenne de 20.811 populations représentant 4.392 espèces suivies dans le monde a diminué de 68 %. La ligne blanche indique les valeurs de l’indice, et les zones colorées l’intervalle de confiance entourant la tendance (écart : de -73 % à -62 %). © WWF/ZSL (2020)
Une autre étude publiée en 2014 avait quant à elle estimé que les taux d’extinction des espèces actuelles sont 1.000 fois plus élevés que les anciens taux d’extinction dite naturelle, couvrant la période de 60 millions d’années, avant l’apparition de l’humanité. Bien sûr, toutes les espèces s’éteignent un jour. Mais ce phénomène se produit généralement à un rythme relativement lent. Or, ces 150 dernières années, la vitesse d’extinction de la biodiversité a considérablement augmenté.
D’autre part, si cette déstabilisation dépasse un seuil critique, le temps nécessaire pour rétablir cette biodiversité pourrait être très long. Une nouvelle étude publiée dans la revue Communication earth & environment tente justement d’estimer ce temps de récupération, en analysant des gastéropodes ! Pourquoi ? Ils font aujourd’hui partie des groupes d’animaux les plus diversifiés dans les écosystèmes d’eau douce, parmi les plus menacés au monde et possèdent un registre de fossiles très bien préservés
Pour étudier le rythme de l’extinction actuelle et prédire le temps de récupération nécessaire, une équipe internationale de biologistes évolutionnistes, de paléontologues, de géologues et de modélisateurs, dirigée par l’Université de Giessen, a dû estimer le taux de déclin de la biodiversité ainsi que le temps de récupération, pendant la cinquième extinction de masse, afin de comparer ces estimations passées aux prévisions futures.
En se concentrant sur les écosystèmes d’eau douce, l’équipe de recherche a donc compilé plus de 3.000 espèces de gastéropodes fossiles et vivants en Europe, couvrant la période des 200 derniers millions d’années. L’objectif : évaluer la perte de biodiversité des gastéropodes d’eau douce dans un avenir proche, plus précisément dans le cadre du scénario « Business as Usual » (BAU). Ce scénario futur – considéré comme le pire – prévoit notamment un réchauffement global de plus de 3 °C en 2100. À noter, cependant, que ce dernier doit être interprété avec précaution, car il comporte de nombreuses limites et incertitudes.
Concernant les prévisions futures, le modèle des chercheurs, basé sur les données de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), prévoit que 75 % de toutes les espèces européennes de gastéropodes d’eau douce pourraient disparaître avant la fin du millénaire, si les tendances actuelles ne sont pas inversées.
Même si ces résultats montrent des perspectives, profondément inquiétantes, ils ne prennent pas en compte qu’un seul groupe d’animaux. Le vivant reste complexe, imprévisible, mais surtout très résilient. Ce n’est donc pas l’entièreté de la vie sur Terre qui est menacée, mais d’abord l’avenir des humains. En effet, la biosphère ne pourra peut-être plus fournir les services qu’elle offre actuellement, si les déséquilibres persistent.