Image satellite du port de Beyrouth après la double explosion survenue le 4 oût. Maxar Technologies/via REUTERS

Port de Beyrouth: la catastrophe qui s’ajoute au naufrage économique

Situé au cœur de Beyrouth, le port est l’un des principaux poumons économiques du Liban. L’importance de ses infrastructures est d’autant plus critique que le pays importe la grande majorité de ses besoins en denrées. Pour les Libanais, l’explosion dans le port de la capitale est la catastrophe de trop dans un contexte de crise économique et sociale.

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Des silos de céréales éventrés: c’est l’une des conséquences des énormes explosions dans le port de Beyrouth. Cela pourrait paraître presque anecdotique à côté du lourd bilan d’au moins 135 morts, des quelque 4000 blessés et des 300 000 personnes qui ont perdu leur domicile. Mais la perte de ces réserves inquiète l’Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation. En effet, la FAO « craint d’avoir à brève échéance un problème de disponibilité de farine pour le pays », une inquiétude que ne partage pas le ministre libanais de l’Économie qui a assuré que le pays n’était pas menacé par une pénurie de farine.

Près d’un Libanais sur deux vit dans la pauvreté

Un tel risque serait d’autant plus problématique que, comme le souligne Alexandre Kateb, économiste et fondateur de Multipolarity report, avant même la catastrophe « il existait des problèmes d’accès à l’alimentation et à différents produits de base pour une partie importante de la population », près « d’un Libanais sur deux vivant sous le seuil de pauvreté » et 35% de la population active est au chômage, selon des statistiques officielles.

Le prix des produits alimentaires grimpe en flèche, avec une inflation atteignant 109% entre septembre 2019 et mai 2020, selon le Programme alimentaire mondial (PAM). Les dommages que l’explosion a provoqués dans le port ne vont certainement pas arranger la situation. « Le Liban importe 80% de sa nourriture », explique à l’AFP, Maya Terro, de l’ONG Food blessed. Elle a donc immédiatement pensé « rayons de supermarchés vides, augmentation des prix ».

Défaut de paiement

Depuis des mois, le Liban traverse donc une crise économique et monétaire. À l’automne dernier, les retraits en dollars sont rationnés ; début mars, le Liban, qui croule sous une dette de 92 milliards de dollars, soit 170% du PIB, annonce qu’il ne paiera pas une première tranche de sa dette, d’un montant de 1,2 milliard de dollars. Nouvelle annonce une quinzaine de jours plus tard : c’est l’ensemble des bons du Trésor émis en dollars qui ne seront pas remboursés.

Si le Liban en est arrivé là, c’est en partie parce que son économie a « beaucoup souffert du retournement de la conjoncture pétrolière et de l’assèchement des pétrodollars, sachant qu’une baisse des transferts des Libanais de la diaspora a aussi été constatée », note Alexandre Kateb. Et d’ajouter : « son économie est très dépendante des capitaux extérieurs » et n’a pas de « véritable capacité de production intérieure ».

L’épidémie de coronavirus n’a fait qu’aggraver la crise

En défaut de paiement, le Liban a bien adopté un plan de relance fin avril et a promis des réformes. Mais les négociations entamées mi-mai avec le FMI s’enlisent.

Quant à la reconstruction suite aux explosions du 4 août, malgré la crise économique mondiale liée à la pandémie de Covid-19, Alexandre Kateb estime que trouver des fonds internationaux « ne sera pas le problème, le problème principal est dans la mise en œuvre des projets ».

Des immeubles résidentiels détruits, des automobilistes soufflés au volant de leur voiture alors qu’ils remontaient la principale autoroute nord-sud. C’est que le port de Beyrouth est au centre de la capitale. Il est aussi au cœur de la vie économique. En 2018, 8 millions de tonnes de marchandises y ont transité d’après les autorités du port. Avec ses quatre bassins et ses seize quais sur une surface de 120 hectares, il est un nœud essentiel des transports de la Méditerranée orientale.

Déja détruit durant la guerre civile libanaise (1975-1990), il a été reconstruit dans les années 1990 puis a connu une croissance exponentielle la décennie suivante avec le développement pour la première fois des activités de transbordement en 2005. C’est-à-dire, le transfert de marchandises de grands navires, vers de plus petits qui ensuite rejoignent d’autres sites dans la région : Syrie, Irak et pays du Golfe. Le port de Beyrouth est aussi un nœud mondial sur l’axe reliant l’Asie du sud-est à l’Europe.

Avec la destruction de ce port, c’est surtout une source d’alimentation essentielle qui est perdue. Le transport de marchandises alimente essentiellement le marché intérieur libanais très dépendant des importations. En 2018, 60% des 20 milliards de dollars de marchandises importées sont passés par le port. C’est en grande partie parce que la population locale a explosé ces dernières années, en particulier avec l’afflux des réfugiés fuyant la guerre en Syrie.

À plus long-terme, l’État libanais ne pourra plus compter sur les revenus générés par le port. L’activité du port représente plus de 80% des recettes douanières de l’État qui est aux abois financièrement et Beyrouth est l’un des ports les plus fréquentés de la région. Des armateurs d’envergure internationale y opèrent, comme MSC et CMA CGM.

L’état d’urgence décrété par le gouvernement pour répondre à la crise sanitaire du coronavirus avait déjà repoussé une échéance importante pour le site : un nouvel appel d’offres devait décider cette année qui décrocherait la concession de ce site. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, aucun autre port dans ce pays ne peut à lui-seul compenser la perte de ces infrastructures. Pas même Tripoli, la deuxième ville au nord du pays. Il faudra reconstruire le port, sans doute en plus grand. Mais d’ici-là, la mise à l’arrêt du port va se faire sentir très douloureusement.

Auteur : RFI

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