Me Amadou Aly Kane, vice-président de la Raddho se dit « inquiet ». Il a listé les craintes d’une possible confrontation entre l’Etat et les partisans de Sonko. Il redoute la même situation qu’en Côte d’Ivoire. Il était l’invité du Grand Oral sur Rewmi Tv.
Un rapport de la raddho et afrikajom Center a été rendu public. Le ministre de la Justice a défendu un Sénégal avec une démocratie en avance. Que devrait-on retenir ?
Je voudrais rendre un hommage, avant de répondre à la question, à Omar Blondin Diop, car c’est un grand humaniste et il s’est sacrifié pour les Africains. Je ne l’ai pas connu, mais c’est un grand panafricain et je me sens proche de lui. Il reste un martyr.
Êtes-vous optimiste quant à l’ouverture de son dossier ?
C’est une nécessité historique. Il faut que dans nos pays, la question du mémorial revête une importance politique. On se bat pour la cause du peuple. Vous êtes assassiné, vous passez par pertes et profits et on vous oublie. Ce n’est pas normal. Il faut que les dirigeants donnent plus d’importance aux personnes décédées et qui ont lutté pour ce pays, pour l’Afrique et pour sa cause. D’où son triomphe. Il faut un mémorial des martyrs. J’ai vécu aussi l’assassinat de Cabral. La Constitution fixe des droits et des libertés aux personnes et fixe des devoirs. Elle renvoie aux déclarations universelles des droits de l’homme et à des conventions avec la charte africaine des droits de l’homme. Bref à ses conventions internationales qui octroient des droits aux citoyens. Le débiteur c’est
l’Etat et les créanciers ce sont les citoyens. Mais l’Etat manque à ses obligations. A l’occasion des évènements de mars 2021, des gens sont morts. Depuis, aucune information judiciaire n’a été ouverte. Le problème c’est aussi le rempart contre l’arbitraire. C’est la justice qui doit protéger le citoyen contre la violation de ses droits. Il y a une insuffisance de l’action judiciaire. La démocratie est acquise suite à une lutte. Il faut maintenir la lutte et se battre pour éviter le recul démocratique. Tout dépend des circonstances. L’histoire est bavarde et parle aux générations futures. Il faut faire attention. Et de ce point de vue, je reste inquiet quand j’entends le pouvoir recruter à tour de bras policiers et gendarmes. Je l’ai vu avant-hier. Des militaires qui ne seront pas à la retraite jusqu’en 2024. On sent qu’on va vers une sorte de confrontation. Du côté de l’opposition aussi, on appelle à la résistance. Des signes montrent que ce pays serait à la veille d’une confrontation. J’ai eu la chance d’être un peu impliqué dans la situation ivoirienne. J’ai conseillé des témoins pour le chef d’État major de l’armée de terre dans le Procès Gbagbo et Blé Goudé. J’ai comme l’impression qu’on marche sur les pas de la Côte d’Ivoire en 2010. Et il faut faire attention car des gens risquent de se retrouver devant la Cour pénale internationale. L’alerte est sérieuse.
On nous parle de Commandos et de Forces spéciales, de cocktails molotovs. Le contexte peut-il justifier le durcissement des lois ?
Les lois sont le produit des nécessités sociales. Mais le maintien de l’ordre est réglementé et il existe des standards internationaux. L’usage de la force n’est permis qu’en cas de légitime défense. Il y a des droits que l’on ne peut du tout remettre en cause. Ils sont intangibles. C’est la menace du droit à la vie, droit sur l’intégrité de la personne. On ne peut pas torturer une personne au risque de poursuites devant la Cpi. On ne peut pas violer la loi manifestement. Ce sont des crimes internationaux. Il faut qu’on en revienne à la raison de part et d’autre. Il faut aussi connaître la loi de part et d’autre. Tout le monde est tenu par la loi.
Alors comment comprendre cette décision de Sonko de ne plus répondre à la justice et son propos sur la désobéissance civile ?
Je ne lui aurais pas conseillé cela. Historiquement, je n’ai pas vu les grands leaders le faire. Ni Wade, ni Cheikh Anta, ni Dansokho ou Nelson Mandela. Des guides religieux, du temps des colons, étaient convoqués et ils répondaient. Il faut se soumettre à la loi. Une personne convoquée doit répondre, car demain, on peut être au perchoir et être mal à l’aise. Ce n’est pas un comportement à encourager de la part d’un leader. Il a les moyens de se présenter et de se défendre. Il faut répondre et faire valoir les moyens de sa défense. Sans quoi vous risquez d’être jugé sans votre présence. Je ne suis pas dans le dossier mais Sonko a de bons avocats. Il n’y a pas péril en la demeure.
As-t-on un problème d’indépendance de la justice ?
Je sais qu’il y a une forte de défiance des justiciables à l’égard de l’appareil judiciaire avec des pertes de confiance et chez les juges eux-mêmes. On a entendu l’Ums sur la question revendiquer plus d’indépendance et contester certaines réformes qui prorogent l’âge de la retraite pour une catégorie de juges, dont les chefs de parquet et de juridiction. C’est une façon d’assujettir le juge. Il y a beaucoup de facteurs qui font que les justiciables ordinaires, de même que les hommes politiques ont perdu aussi cette confiance face à la justice. Mais l’État aussi doit se battre afin que la justice retrouve son indépendance. C’est un combat qu’il faut mener de l’intérieur et de l’extérieur. Il y a des juges qui ont compris leur mission. Kéba Mbaye est un exemple. Il faut se battre avec les armes de la démocratie et dans la paix. Dans un Etat de droit, l’Etat est soumis au respect du droit. Donc il faut respecter les règles.
On soupçonne aussi des faits de corruption au sein de la justice. Y-a-t-il des solutions ?
Il y a des choses souterraines dont on ne peut prouver l’existence. Mais à mon avis le meilleur moyen de combattre cette chose, c’est de rendre publiques les décisions de justice et de les commenter afin que les gens se rendent compte comment une décision de justice peut-être injuste et insensée et savoir qui l’a rendue. Personne ne voudra être au devant de la scène. Cela va pousser les uns et les autres à être sur le droit chemin.
Le procès Sonko Adji Sarr est prévu demain mardi et on agite l’idée de l’arrestation de Sonko. Quelle est la règle?
Il y a l’art 238 du code des procédures pénales qui dit : « L’accusé qui a été mis en liberté ou qui n’a jamais été détenu se présente au plus tard la veille de l’audience au greffe qui s’assure de sa représentation en justice. » Ensuite l’art 239 dit : « L’ordonnance de prise de corps est dûment exécutée et convoquée au greffe par voie administrative par la chambre criminelle, sans motif d’excuse, si l’accusé ne se présente pas aux jours fixés pour être interrogé par le Président de la chambre. On dit que l’ordonnance est exécutée sur décision motivée du président de la chambre, s’il juge la détention de l’accusé nécessaire. Cette décision est sans recours. » L’accusé doit se présenter au greffe à la veille pour qu’on sache qu’il n’a pas disparu.
Si Sonko maintient cela, l’ordonnance de prise de corps risque-t-elle d’être exécutée ?
Rien ne s’oppose à ce que Sonko comparaisse libre et reparte libre. J’estime qu’il faut aller répondre quand la justice vous convoque. Quel que soit le sentiment vis-à-vis des poursuites. Si on a le sentiment d’être victime de complot, il faut aller devant la justice et se défendre. Le seul vrai juge après Dieu, c’est aussi le peuple, le tribunal de la rue et de l’opinion. Je parle pour tout le monde et par principe.
On a vécu des affrontements à Ngor avec des morts. Pourquoi autant de problème dans le foncier ?
Le vrai problème c’est le non-respect de la réglementation ou l’ignorance de la réglementation. La loi existe mais elle peut ne pas être comprise. Pour le cas de Ngor, le terrain appartient à l’État et est du domaine privé de l’État. On peut le donner à la commune et trouver un juste milieu. Il fallait l’affecter à la commune de Ngor et celle-ci fait des lotissements. Chaque partie allait gagner. Mais comme la gendarmerie avait jeté son dévolu sur ça, on n’a pas voulu la désavouer face aux populations.
Le foncier est une véritable bombe à retardement. Quelles sont les solutions ?
Il y a de la spéculation dans ce pays. Le sol est divisé selon la catégorie. Vous avez le domaine public, les zones privées… Chacune d’elle a une signification. Il faut aussi de la justice dans ce que font les gens. Il nous faut avoir un cadastre foncier pour savoir ce que l’on peut donner à des étrangers, aux populations.
La dette publique engage les générations futures. On est dans une situation difficile mais le gouvernement relativise !
Un Etat à des dépenses à faire.. Il y a deux catégories de dépenses. Celles liées aux fonctionnements et les autres aux investissements. La construction de routes, d’hôpitaux et autres ponts etc. Des dépenses lourdes. L’Etat finance tout cela avec l’argent collecté à travers les impôts et les revenus de son portefeuille. Les recettes budgétaires comme fiscales ne couvrent pas les dépenses. D’où le déficit budgétaire. Alors l’Etat a des appuis budgétaires. C’est là où intervient le Fmi pour boucher les trous dans le budget de fonctionnement. Quand le FMI porte 1150 milliards c’est pour combler le déficit, mais pour se faire payer, il vous recommande des choses dont l’augmentation des impôts ou le
rendement de la fiscalité. Déjà j’ai vu que les services fiscaux du pays sont en train de poser des réformes pressantes. Le Fisc fait peur. Donc il faut que cette culture fiscale se généralise.
Le F24 s’est mobilisé pour faire face au 3e mandat. Qu’en pensez-vous ?
Cette question doit être réglée pour de bon dans le débat public. Le Ministre de la Justice qui avait fait des réformes avait dit qu’il avait verrouillé la Constitution. Alors que ce mandat est le dernier. Le moment est venu pour Macky Sall de se tenir prêt à exercer d’autres fonctions que celle de président de la république du Sénégal. C’est dans son intérêt et il a un bilan brillant avec une expérience qui peut servir au monde.