Au Sénégal, la prise en charge des enfants autistes se heurte à un déficit de centres spécialisés et d’écoles de formation. Votre journal est allé à la rencontre des parents et professionnels de la prise en charge.
Difficile de prendre en charge comme il faut, les enfants autistes au Sénégal. Les spécialistes font face à beaucoup de défis. Selon la pédopsychiatre, cheffe du service de pédopsychiatrie de l’hôpital psychiatrique de Thiaroye et du service de pédopsychiatrie de l’hôpital des enfants de Diamniadio, Dr Ndeye Awa Der Diéye, avant de prendre en charge les enfants autistes, on leur fait passer un bilan diagnostic pédopsychiatrique. « Nous avons constaté que beaucoup d’enfants n’avaient pas de diagnostic ou étaient sous-diagnostiqués.
Parfois, le diagnostic d’autisme se posait sans que le bilan se fasse. Beaucoup d’enfants arrivent en disant qu’ils ont un autisme et qu’on sait qu’il n’est pas autiste. C’est pourquoi nous proposons un bilan diagnostique complet avec le pédopsychiatre, les autres spécialistes à savoir les paramédicaux, les psychologues cliniciens, les orthophonistes, les psychomotriciens et l’équipe éducative », dit-elle. Et de poursuivre : » Après avoir posé le bilan, en fonction des tests que nous faisons, un projet pédagogique et thérapeutique est élaboré. Donc, chaque enfant a son projet ». Elle précise que la prise en charge de l’autisme est individuelle et groupale. » On ne peut pas faire une prise en charge typique d’un enfant et l’appliquer à tous les autres enfants. C’est ce qui fait la particularité de cette maladie », explique-t-elle. Elle relève toutefois qu’il n’est pas facile de consulter un enfant surtout pour la pédopsychiatrie. « Mais nous sommes outillés pour les consulter. Il ne s’agit pas seulement de parler avec l’enfant, parce que beaucoup ne parlent pas. Raison pour laquelle, les tests psychomotriques sont là. Il y a des tests pour les enfants verbaux et non-verbaux, des outils que nous avons appris à utiliser pour des enfants différents », renseigne-t-elle. Sur la méconnaissance de la maladie, la spécialiste fait noter que de plus en plus au Sénégal, on se rend compte que le mot autisme ressort à travers les réseaux sociaux et les gens ne connaissent pas. » C’est un fourre-tout, on taxe tous les enfants différents d’autisme ou de « mongol » alors qu’il y a différentes pathologies », explique-t-elle. Concernant les centres pour la prise en charge des enfants autistes au Sénégal, ils font défaut. » Dans les autres pays, la prise en charge se fait dans les centres de ressources d’autisme. Ce sont des centres spécifiques adaptés à ces enfants. Aujourd’hui à Dakar, il y’a qu’un seul centre hors-hospitalier et qui est privé à Dakar. D’où notre plaidoyer aussi d’avoir un centre national avec l’appui de l’Etat. Car le centre existant est une initiative personnelle des spécialistes et des parents, mais pas du tout complètement habilité et accompagné pour prendre en charge tous les enfants autistes du Sénégal », se désole-t-elle. Et d’ajouter : »Nous n’avons pas cette capacité mais nous avons aussi, avant ce centre, les hôpitaux de jour. Nous prenons tous des enfants différents. Il n’y a pas cette spécificité d’autisme, il n’y a que le centre qui le fait ». Elle indique qu’il y a des hôpitaux de jour, dans les services de pédopsychiatriques notamment à Fann, à Keur Xaléyi, à Thiaroye et à Diamniadio. « Les ressources humaines sont insuffisantes car la prise en charge nécessite le travail avec des spécialistes notamment les psychomotriciens, les orthophonistes, les psychologues cliniciens, les neuropsychologues qui sont des spécialistes médicaux très rares. Nous ne sommes que deux pédopsychiatres formés et insérés », dit-elle. Pour y faire, des diplômes d’études spécialisées sont en train d’être mises en place avec 7 jeunes médecins qui sont formés à la pédopsychiatrie et dont certains sortiront prochainement. « Les orthophonistes, les psychomotriciens, les neuropsychologues sont déjà des fonctions qui ne sont pas encore reconnues par la fonction publique qui ne peut pas les recruter. Ils sont très peu nombreux au Sénégal parce que les formations n’existent pas au Sénégal », apprend-elle.
En ce qui concerne la stigmatisation, la spécialiste indique que des groupes de parole sont organisés à l’intention des parents. « Ce sont des groupes de conversation très difficiles, on a beaucoup de larmes parce que les mamans nous racontent ce qu’elles vivent au quotidien dans leur famille. Donc la stigmatisation est à différents niveaux, c’est déjà dans la famille. Parce qu’au Sénégal, on considère qu’une maman qui met un enfant au monde, tout ce qui lui arrive, est de sa faute », relève-t-elle. Elle soutient que les enfants sont souvent incompris et leurs comportements sont associés à l’indiscipline.
NGOYA NDIAYE
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Mouhamed Lamine Diop, neuropsychologue
« Il y’a un déficit de spécialistes et de centres de prise en charge »
Pour le neuropsychologue, Mouhamed Lamine Diop, la prise en charge des enfants atteints d’autisme reste difficile parce que souvent il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. » C’est une prise en charge holistique, cela veut dire que ce sont des équipes formées, outillées et qui sont habilitées également à faire cette prise en charge. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de challenges mais aussi beaucoup de réussites surtout par rapport à l’éducation familiale », dit-il. Et de poursuivre : »C’est une approche centrée sur la personne à savoir les parents et aussi au niveau de l’école. C’est une prise en charge qui nécessite beaucoup de temps. Un investissement déjà en tant que personnel et parent, et surtout aussi en tant que professionnel pour permettre à ce que ces personnes puissent vivre avec leurs difficultés ». Il rappelle que l’enfant fait partie de la famille. » C’est ce qu’on oublie malheureusement en Afrique.
La famille n’est pas composée seulement des parents, l’enfant fait partie de la famille. C’est ce qui fait que la prise en charge doit être beaucoup plus auto-centrée sur la famille », laisse t-il entendre. Il indique que les professionnels peuvent penser que l’enfant a des difficultés, mais la maman ne le voit pas comme ça ainsi que le papa. « Le premier objectif est d’amener à ce qu’on soit dans la même phase, c’est-à-dire que l’enfant présente des difficultés car c’est une phase normale de déni qu’on peut avoir qu’il faut traverser avec la famille. Une fois que cette phase est atteinte, on va voir comment on peut améliorer la qualité de vie, la qualité des interactions et surtout aider à ce que la famille ne soit pas surchargée », diagnostique-t-il. A l’en croire, les familles n’ont pas d’outils, ni même d’éléments de prise en charge nécessaires. « Nous les amènerons à faire une éducation parentale pour les habiliter à faire ce travail avec eux. Ce n’est pas évident, mais on avance avec eux, parce qu’ils connaissent leurs enfants et nous les guidons comme une boussole », fait il savoir. Dr Diop relève qu’il n y a pas assez de neuropsychiatres au Sénégal. « Si on fait une évaluation, nous sommes à moins d’un spécialiste pour un million d’habitants et ne sommes pas présents dans certaines zones. Ils sont surtout concentrés dans certaines zones comme Dakar », se désole-t-il. De son avis, le Sénégal est loin d’atteindre le seuil recommandé par l’organisation mondiale de la santé (OMS) pour la prise en charge des enfants ou même des personnes vivant avec des troubles du développement. » Il faut trois enfants pour un spécialiste, ce qui fait que cela peut être difficile dans les centres spécialisés pour accueillir beaucoup plus d’enfants », renseigne-t-il.