Les aventures d’ADO à Paris: échec sur toute la ligne

Alassane Dramane Ouattara a fini par avoir son petit moment d’entretien avec Emmanuel Macron. Après deux reports, plusieurs atermoiements et une dizaine de supplications, les portes de l’Élysée ont été entrouvertes pour que le Président Ivoirien puisse s’y glisser.  Il faut dire que cette rencontre avec le dictateur d’Abidjan, Macron ne la voulait pas. Le forcing politique et diplomatique déployé par le président ivoirien pour être reçu par son homologue français mettaient ce dernier dans l’embarras. En effet, Emmanuel Macron qui avait décerné un certificat de bonne conduite et de bonne moralité politique à Alassane Ouattara, s’est senti floué par sa déclaration de candidature pour un troisième mandat, en violation de la Constitution de la Côte d’Ivoire. En langage moins diplomatique, Macron était totalement déçu d’Ouattara. Le président ivoirien sortant avait rompu unilatéralement le deal qu’ils avaient conclu quelques mois plus tôt et surtout, il venait de se parjurer publiquement aux yeux de l’opinion et avait, de ce fait, perdu la considération due aux hommes d’honneur.

Publicités

Il est important de savoir que depuis deux ans, Alassane Ouattara avait entrepris Emmanuel Macron, en vue de recevoir son approbation pour briguer un troisième mandat à la tête de la Côte d’Ivoire. Et pour rallier le président français à sa cause, ADO n’y est pas allé de main morte. L’activisme de son épouse Dominique Ouattara et le réseau d’intermédiaires que lui-même a déployé, ont démarché tout ce qui peut être considéré comme la crème politique et financière française aux fins de convaincre le Président Macron que Ouattara était la stabilité incarnée, non pas de la Côte d’Ivoire seule mais de toute la sous-région ouest-africaine. Il jurait, et ses mandataires avec lui, que la Côte d’Ivoire sous Ouattara était le seul îlot de paix et stabilité du golfe de Guinée, et que sans cet homme providentiel, le pays sombrerait dans le chaos. Entrainant avec lui tous ses voisins. Il faut dire que ce discours n’a guère ému Macron, coutumier des envolées des dictateurs qui aiment se convaincre que sans eux, leur pays serait réduit en cendres.

Dans sa bataille pour convaincre Macron de se ranger à ses côtés, ADO avait des mécènes, et non des moindres. Dans le milieu industriel, c’est toute la famille Bouygues curieusement alliée pour cette cause à leur ennemi traditionnel, la famille Bolloré. Les industriels savent taire leurs contradictions quand il s’agit de faire main basse sur les ressources en Afrique. Ouattara étant le gardien de leurs intérêts, ils étaient décidés à le soutenir pour se maintenir au pouvoir, y compris en violant la Constitution de son pays.

Sarkozy à la manœuvre

Au plan politique, son fidèle coursier Nicolas Sarkozy, le missi dominici français, était également à la manœuvre. A force d’acharnement, Sarkozy a réussi à faire fléchir la ligne de Macron. Au cours du dernier trimestre de 2019, Emmanuel Macron a fini par accepter le deal qui suit : ADO renonce à sa candidature pour un troisième mandat, cela met Paris à l’aise. En contrepartie, Paris s’engage à soutenir quiconque ADO présente à la candidature et à reconnaitre sa victoire, quelle que soit l’issue du scrutin, fraude ou pas. Le meilleur défenseur de ce deal n’est autre que le ministre français des Affaires étrangères Jean Yves Le Drian, réincarnation baroque de Jacques Foccart, l’homme des coups tordus en Afrique, et grand manœuvrier de la françafrique. Ce M. Le Drian, qui comme chacun le sait, est très sensible aux petits cadeaux de la françafrique.

 Le deal une fois validé, lors de la visite de Macron à Abidjan en décembre 2019, ADO lui présenta officiellement celui qu’il avait choisi pour lui succéder, le défunt Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Macron, satisfait, lui donna sa bénédiction et Le Drian pris l’engagement de travailler à l’élection du poulain présidentiel. Ainsi et à la surprise de ses partisans qui ignoraient tout de ce deal, Alassane Ouattara annonça publiquement sa décision de ne pas briguer un troisième mandat présidentiel. Par cette annonce publique, il respectait son engagement de céder le pouvoir à celui qui alors avait été adoubé par Paris.

Aussitôt, et fait assez significatif pour être relevé, un tweet rédigé par Le Drian pour le compte d’Emmanuel Macron, est transmis aux services de l’Élysée et est aussitôt publié. Macron y félicite chaleureusement ADO et le traite d’homme d’État etc.

Certains proches de Macron avaient quand même trouvé ce tweet quelque peu inapproprié et trop obséquieux et ont eu le courage de le faire savoir. Mais qu’importe, l’essentiel était qu’ADO respectait son engagement. Et voilà que, par un coup du sort, le Premier ministre à peine désigné candidat, perdait la vie brutalement.

Une sorte de frénésie morbide s’est alors emparée de l’entourage de M. Ouattara et Le Drian se trouva fort gêné par cette panique démesurée du clan présidentiel. Il devenait clair qu’Alassane Ouattara était en train de rejeter les accords conclus avec Paris, vu le ballet de chefs traditionnels et de laudateurs qu’il faisait défiler au palais pour le supplier de conserver le pouvoir, en dépit de l’interdiction formelle de la Constitution.  

Pour éviter une sortie de route du chef d’État ivoirien, le président Macron eu une conversation téléphonique avec son ministre Jean Yves Le Drian, le priant de se rendre de toute urgence à Abidjan, pour présenter ses condoléances et dire au Président Ouattara qu’il serait mal venu de se renier et de se présenter à l’élection. Il a dit la disponibilité de la France à saisir le Conseil de sécurité de l’ONU pour envisager un report de l’élection afin de laisser le temps à ADO de trouver un nouveau poulain. Devant Le Drian, Ouattara surjoua le président accablé par le décès de son Premier Ministre, lui fit savoir qu’il était encore sous le choc de ce trépas et qu’il se réservait le temps de la réflexion, pour décider des contours de la future présidentielle. Il lui jura de sa voix la plus doucereuse, qu’il était un très grand démocrate et qu’il n’était guidé que par le souci de la stabilité de la Côte d’Ivoire et de la sous-région, ce qui pour lui était une question d’une extrême importance.

C’est pourquoi il plaida pour qu’on lui laisse quelques jours de réflexion. Dans son avion de retour, Jean Yves Le Drian avait un sentiment mitigé. En effet, après avoir parlé avec l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire et quelques officiels français, il voyait bien que ADO était plus que tenté par un troisième mandat. Il s’inquiétait notamment du fait qu’une telle décision ne manquerait pas de nuire aux bonnes relations entre la France et la Côte d’Ivoire. Une fois arrivé à Paris, il s’en inquiéta auprès de Nicolas Sarkozy, émissaire attitré de Ouattara. Il le pria d’intervenir auprès de son ami et de le convaincre que tenter le diable du troisième mandat lui serait préjudiciable et ruinerait tout son crédit. Sarkozy hésita, connaissant le tempérament sanguin de Ouattara, mais finit par aborder la question avec ce dernier. Sans hésiter, le président ivoirien laissa clairement entendre à Nicolas Sarkozy qu’il n’avait d’autre choix que de se présenter, après le décès d’AGC. Il craignait de laisser le pays entre les mains de cadres de son parti dont il peignit longuement l’incompétence et le manque de charisme. Nicolas Sarkozy n’eut pas la force de caractère de dissuader son ami.

Parallèlement, Mme Dominique Ouattara entrepris de remuer ses propres réseaux pour voler à la rescousse de son époux. Elle distribua des coups de fils et contacta diverses personnalités qu’elle mit en mission pour tenter de convaincre Emmanuel Macron, que c’est Ouattara ou le chaos.

Bien sûr, Pierre Fakhoury, Président de PFO, qui bénéficia de dizaines de marchés opaques totalisant plusieurs centaines de milliards en Côte d’Ivoire sous les Ouattara, fut mis en mission. Mais surtout, Dominique Ouattara accentuera ses efforts sur Mme Mélissa Bouygues, l’épouse de Martin Bouygues. Elle fut également très sollicitée. Ainsi donc, Fakhoury, les Bouygues, les Bolloré montèrent au créneau d’abord sur Brigitte Macron et ensuite sur Emmanuel Macron lui-même.

Le roublard d’Alassane Ouattara leur proposait un schéma assez simple dont ils devaient se charger de convaincre Macron. Ce dernier devait adouber sa candidature et lui garantir la neutralité passive de Paris dans le processus électoral qui allait avoir cours en Côte d’Ivoire. Concrètement, il leur soumettait le plan suivant :

Que Macron garde le silence lorsqu’il annoncerait sa candidature

Qu’il abreuverait les médias français d’images et de vidéos du peuple de Côte d’Ivoire qui réclame sa candidature ;

Qu’il se présenterait à l’élection d’Octobre 2020 et la gagnerait les doigts dans le nez. Il présenta deux sondages arrangés qui le donnaient vainqueur à 70% dès le premier tour, tandis que Henri Konan Bédié récoltait 19%, Guillaume Soro 8% et Laurent Gbagbo 2%.

Pour ce qui est de l’opposition ivoirienne, Alassane Ouattara a assuré qu’il en faisait son affaire et qu’il n’y avait rien à craindre d’elle. Qu’elle ne créerait aucun trouble.

Grâce à l’entregent de Mélissa Bouygues, Dominique Ouattara a pu avoir une audience avec Brigitte Macron à qui elle expliqua qu’en Afrique ce serait très mal vu que son époux ne soit pas reçu par le président français alors qu’il est en France et en a fait la demande.

A vrai dire, Paris restait sceptique face à l’optimisme de M. Ouattara, puisque des sondages contradictoires ne le voyaient guère arriver au deuxième tour.

Un des sondages projetait un deuxième tour entre Bédié et Soro qui, peu ou prou, arrivaient chacun à capter près de 32% de l’électorat, au premier tour.

Sur la base de ses propres estimations et en tenant compte du risque d’explosion sociale, Paris n’était pas du tout favorable au projet de 3ème mandat d’Alassane Ouattara. Et Emmanuel Macron refusait de le recevoir pour ne pas donner l’impression de cautionner cette ambition.

En retour l’équipe d’Emmanuel Macron a fait des contre-propositions aux émissaires d’Alassane Ouattara :

Qu’il y ait un consensus de la classe politique sur chaque étape du processus électoral. Que les violences cessent et que plus aucun trouble ne soit constaté. Qu’il n’y ait aucune exclusion de candidature, y compris celles de Laurent Gbagbo et de Guillaume Soro Que les députés emprisonnés soient immédiatement remis en liberté

Si tout ceci était fait, Paris déclarerait officiellement que les Ivoiriens ayant trouvé eux-mêmes un consensus pour aller aux élections, il ne lui revenait pas de faire de l’ingérence, même si manifestement la Constitution interdit à Ouattara de briguer un troisième mandat.

Les exégètes autour du président ivoirien interprétèrent la réponse de Paris comme un adoubement diplomatique. Et qu’ADO pouvait y aller, la France regarderait ailleurs.

Sauf que les choses ne se passaient comme ADO l’avait prétendu.

D’abord, Alassane Ouattara a manqué à son engagement de libérer les prisonniers politiques, ce qui a contribué à crisper davantage l’atmosphère préélectorale.

Ensuite, au lieu d’une déferlante de populations pour soutenir sa candidature, les ambassades des USA et des pays membres de l’Union Européenne firent un compte rendu qui établissait clairement que les rares chefs traditionnels qui étaient venus soutenir le Président Ouattara, étaient en fait payés et mis en mission par le RHDP. Pis, les ambassades membres du Conseil de Sécurité de l’ONU en Côte d’Ivoire émettaient de plus en plus de notice pour mettre en garde contre le risque d’une véritable déflagration en Côte d’Ivoire.  Et elles eurent raison.

Les manifestations déclenchées par l’opposition politique, en deux jours, ont occasionné 26 morts, assassinés par les supplétifs ethniques du régime, laissant poindre le risque d’une guerre civile intercommunautaire.

De son côté, la communauté française en Côte d’Ivoire ne manquait pas, par ses propres canaux, d’interpeller l’Élysée de ce que tout soutien à Ouattara les mettrait en danger, eux et leurs biens. Autant dire, que la chose fut prise au sérieux à Paris.

 Il se constatait donc aisément que la maîtrise des Ivoiriens dont ADO se prévalait auprès de ses interlocuteurs français était un leurre.  Il n’y avait pas aucun consensus autour de sa candidature. Bien au contraire, l’opposition qui jusque-là était divisée, commençait à former un bloc uni autour de Bédié, Gbagbo et Soro. Chacun d’entre eux se fendait d’une déclaration hostile à la violation de la Constitution dont Alassane Ouattara était en train de se rendre coupable. Les Organisations de défense des droits de l’homme tel Amnesty International ont commencé à pointer les crimes du régime, à l’approche de la présidentielle.

La proposition de Macky

Au niveau de la sous-région, l’activisme malsain de Ouattara quand survint la crise malienne, exaspéra ses pairs de la CEDEAO qui en firent part à Paris. Paris s’en agaça. La suite, on la connait. La diplomatie française a pris le contrepied des déclarations de Ouattara, actant la démission de IBK et refusant tout recours à la force pour le réinstaller à la tête de l’État malien. Lors de la visite du Président sénégalais, reçu à l’Élysée de façon grandiose, la question ivoirienne fut évoquée. Macky Sall fit une proposition d’apaisement. Pour lui, si Ouattara s’entêtait à violer la Constitution pour être candidat, en contrepartie il faudrait que tous les autres acteurs politiques soient autorisés à entrer en lice, aussi bien Laurent Gbagbo que Guillaume Soro. Et la paix reviendrait en Côte d’Ivoire. Macky Sall a insisté pour que Macron et Ouattara se parlent sur cette question, qui risque d’avoir des conséquences dangereuses pour toute la sous-région.

C‘est ainsi que Sarkozy, la famille Bouygues, la famille Bolloré, Le Drian et Macky Sall finirent par convaincre Macron de recevoir ADO ne serait-ce que quelques minutes.

Bien que fort réticent au début, Macron a fini par concéder que cette audience permettrait de tirer les choses au clair.

Mais avant, il envoya Nicolas Sarkozy lui passer un message sur le contenu des discussions qu’ils auront. Quelques minutes avant son départ pour le palais de l’Élysée, Alassane Ouattara a donc reçu Sarkozy qui est venu bien lui expliquer les points-clés sur lesquels Macron n’entendait pas transiger et sur lesquels il entendait voir Ouattara bouger positivement. Le premier point était l’ouverture du scrutin à tous les candidats, injustement frappés de mesures judiciaires. Nicolas Sarkozy a explicitement évoqué les noms de Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, que Macron voulait absolument voir participer à ce scrutin présidentiel, au nom de la paix et de la démocratie. Deuxième point : Macron exigeait la libération immédiate de tous les détenus de ces derniers jours et surtout la relaxe de tous les députés emprisonnés depuis bientôt neuf mois, sans jugement. Ouattara surpris, a tenté d’expliquer à Sarkozy que Macron n’avait pas une bonne lecture de la situation politique en Côte d’Ivoire. Mais Sarkozy a été clair avec lui : pour Macron ces points constituent des préalables incontournables à la bonne tenue du scrutin.

Alassane Ouattara est donc allé au rendez-vous ce vendredi 4 septembre 2020, et a été reçu avec le strict minimum protocolaire. Sans journalistes, sans officiels, sans tapis rouge, sans déclaration à la sortie, sans communiqué conjoint. C’était une audience sans le faste du protocole et dans la quasi intimité.

A l’audience Macron qui n’entendait pas se laisser démonter, entra directement dans le vif du sujet, avec le tranchant qu’on lui connaît. Il réitéra clairement ses positions : Un report de l’élection pour permettre à Laurent Gbagbo et Guillaume Kigbafori Soro de rentrer dans leur pays pour prendre part à l’élection, la libération des prisonniers politiques, le respect de la liberté de manifester pour l’opposition, la non-violation de la Constitution qui lui interdit de briguer un troisième mandat et un encouragement à trouver un autre candidat au RHDP dans le strict respect de la loi fondamentale

Évidemment Alassane Ouattara non plus ne l’entendait pas de cette oreille. Il campait sur sa posture du sauveur, sans qui la Côte d’Ivoire sombrerait irrémédiablement dans le gouffre. Il estimait que l’opposition en exil avait pollué les médias et l’opinion française et que la réalité est qu’il pouvait organiser lesdites élections en écartant les principaux, sans troubles. L’atmosphère était tendue entre les deux hommes. Et c’est sur un constat de grave désaccord qu’Emmanuel Macron a mis fin à leur déjeuner. Il n’y eut donc ni communiqué, ni déclaration, ni photo officielle. C’est rouge de colère qu’Alassane Ouattara a regagné sa résidence parisienne. Le visage fermé, il est descendu de son véhicule sans un mot et a regagné ses appartements. Les témoins disent l’avoir entendu hurler que Macron ne connaît rien, qu’il se laisse manipuler, qu’il croit tout savoir alors qu’il ne sait rien du tout et que cela ne se passerait pas comme ça.

 Frustré par le manque d’engagement du chef de l’État français à ses côtés dans son projet de troisième mandat, Alassane Ouattara a pris la décision de faire publier, unilatéralement, un communiqué sur la rencontre, pour se donner de la contenance et donner aux Ivoiriens le sentiment qu’il avait tout de même eu l’aval de la France pour sa candidature. Ce communiqué unilatéral va susciter l’ire de l’Élysée puisque son contenu n’était pas tout à fait conforme à la nature des discussions qui ont eu lieu au déjeuner. Les journalistes français seront invités à ne pas en tenir compte.

Autant dire que l’opération de charme d’Alassane Ouattara à Paris a fait chou blanc.

Il n’a reçu que défiance et méfiance, là où il s’attendait à de la compréhension, voire à un soutien franc. S’il voulait écouter la voie de la providence, il serait sage pour lui d’écouter les conseils de Paris et de se raviser sur son projet maléfique de briguer un troisième mandat.

Au moins, le mérite de ce déjeuner, c’est qu’il a permis à Emmanuel Macron de découvrir le visage de roublard d’Alassane Ouattara.

CHRIS YAPI  ET SAFIETOU DIOP

Vérifier aussi

Conseil de sécurité: Le chef de l’UNRWA dénonce la campagne d’Israël pour démanteler son agence

Le chef de l’agence des Nations Unies chargée d’aider les Palestiniens, l’UNRWA, a vivement dénoncé …